Regard sur l’image

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- Image, identité et fraude 2/3Entretien entre Maria Azevedo, Gilles Boisaubert

,  par Hervé BERNARD dit RVB, Jean-Louis Poitevin, Marie Azevedo

Première partie : le déclaratif

Deux strates si différentes

Si l’identité se fonde sur des documents officiels qui en attestent, l’arrivée du numérique a modifié la donne d’une manière radicale. En effet, nous faisons circuler d’une part des images et des éléments relatifs à notre personne et cela sans protection. Mais tout autant sans protection, nous faisons aussi circuler des scanners de tel ou tel de nos papiers d’identité, photocopie de CNI pour un dossier de passeport pour une réservation, ou encore pour une recherche d’emploi ou une recherche de logement.

Ainsi, aujourd’hui, ce ne sont pas tant ou pas seulement les documents matériels qui sont susceptibles d’être falsifiés, mais c’est la possibilité de se fabriquer des identités qui nous est offerte par la seule manipulation d’images des documents, images récupérées ou fabriquées électroniquement bien évidemment.

Cet entrecroisement de deux strates de réalité complexifie la donne et contraint certains secteurs, comme les banques, certains commerces ou encore les acteurs de la téléphonie par exemple, à tenter de se protéger contre les abus rendus possibles par un contrôle peu exigeant en termes de « preuves » d’identité.

La prise en compte de cette situation nouvelle conduit en parallèle à des réflexions plus ouvertes sur la question même de l’identité.

Image, identite et fraude from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Une course vers l’abîme ?

Ainsi, selon les trois interlocuteurs de cet entretien, on assiste à une mise en abîme des apparences. En effet, le scanner d’un document d’identité n’est qu’un document numérique et à partir de lui il est possible de travailler directement cette « image » puisqu’elle a alors toutes les caractéristiques d’une image numérique. Ce document numérique n’est qu’une image d’image, une apparence d’apparence qu’il est possible de transformer et à laquelle il est réellement possible de faire « dire » n’importe quoi ! En effet, on peut modifier le nom, l’apparence de la personne, prendre quelques éléments et les transférer sur un autre document numérique. Bref ! On l’a compris, nous ne sommes aujourd’hui que l’ombre de nous-mêmes ou, si l’on veut s’approcher de thématiques qui ont aujourd’hui vent en poupe dans le champ philosophique, nous sommes de facto devenus des fantômes, des spectres et, plus encore, nous pouvons être devenus en quelque sorte le fantôme de nous-même !

C’est bien à la base même de « l’être » que nous conduisent ces réflexions tout à fait factuelles et concrètes relatives aux questions que pose la multiplication des moyens de falsifier, usurper ou contrefaire notre identité.

Si parler d’identité, c’est parler du « je suis » à partir du « qui je suis », parler de la falsification ou de l’usurpation généralisée possible de notre identité, c’est parler de l’être à partir de l’effacement des éléments considérés jusqu’à aujourd’hui comme étant les manifestations de sa puissance. Et ce que l’on voit disparaître ou en tout cas être remis en question dans ses fondements même, c’est bien la possibilité de fonder notre être sur des éléments « vrais » et infalsifiables.

Nous avons rêvé longtemps en lisant des ouvrages de science-fiction à ces dystopies qui nous paraissaient aussi effrayantes qu’elles étaient agréables à envisager puisqu’on le faisait dans le fauteuil confortable de son salon ou d’un cinéma.

Aujourd’hui il n’est pas interdit d’imaginer se trouver à un guichet quelconque à côté de nous-même, que ce nous-même possède les mêmes papiers que nous ou qu’il ne possède que le nom et les attributs de lieu de naissance mais avec une tout autre apparence.

Il est aussi possible de commander un produit quelconque, illicite en particulier, à différents revendeurs qui se trouveront être le même. La multiplication des identités peut donc aussi servir de masque et permettre à une seule entité, une seule personne, à un seul vendeur de multiplier ses offres et de renouveler ainsi son image. Plus "je suis nombreux" plus j’ai de chance de faire des rencontres et de contrôler le segment de marché sur lequel je suis actif.

On comprend ainsi que la question "combien suis-je ?" qui pouvait passer pour philosophique il y a quelques décennies voire même quelques années, est devenue une question qui concerne tout le monde et à laquelle chacun a répondu positivement.

C’est à cela que l’on remarque combien la ville et nos vies d’aujourd’hui sont déjà entrées dans l’ère de la dystopie. Il est absurde de nier que nous sommes DÉJÀ devenus des fantômes, DÉJÀ devenus des spectres, DÉJÀ devenus des apparitions. En effet, rien ne nous garantit plus que nous soyons qui nous prétendons être ou en tout cas que celui ou celle que nous prétendons être ne soit pas en train d’arpenter un univers parallèle. il est vrai aussi que cet univers parallèle est si proche du nôtre que parfois ils se mêlent.

- Les enjeux de la mondialisation de l’identité 3/3