Regard sur l’image

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- Écrans et Trames I

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Avec la montée en puissance de la télévision puis de l’informatique, penser l’écran est devenu un point névralgique de la pensée de l’image. Dans ce domaine, contrairement à l’avis des pieuses piteuses Pythie, l’écran n’a pas supplanté le papier, même s’il s’est construit une place spécifique avec des domaines comme la simulation. Certes le plan d’architecte, dont le support fondamental reste le papier, pour des questions de taille et d’effet d’échelle, est une forme de simulation mais, sans l’écran, l’industrie de la simulation n’aurait jamais atteint son rang et le plan d’architecte est, malgré tout, bien là pour nous le rappeler, lui qui ne se conçoit plus sans l’apport de l’écran et de la 3D

Cette mutation du papier à l’écran, nous a valu, comme à l’accoutumé depuis la seconde moitié du XXe siècle, moulte foultitudes théories de la rupture en provenance du cercle des futurologues et autres spécialistes patentés. Certes, cette rupture est indéniable, notamment pour le couple circulation-diffusion des images. Cependant, comme nos commentaires sur le syndrome Azerty (que nous aurions appelé qwerty si nous étions britanniques) le rappellent, toutes les nouvelles technologies embarquent des reliquats des techniques précédentes et, si l’on oublie cette continuité, l’étymologie est là pour nous la rappeler. En quoi l’image serait-elle exempte de cette continuité ?

1 Étymologie
 Dernier quart du XIIIe s. escren « panneau servant à se garantir de l’ardeur d’un foyer » (Glossaire de Douai)
 1538 « tout objet interposé qui dissimule ou protège »
 1857 « châssis tendu de toile dont se servent les peintres pour voiler un excès de lumière »
 1859 opt. « tableau blanc sur lequel on fait projeter l’image d’un objet » (Bouillet) ;
 1895 (Prospectus ds Giraud). Empr. au m. néerl. scherm « paravent, écran » (Verdam), avec métathèse du e et du r.

 Écran à et écran de
Ces deux prépositions sont le discriminant des deux fonctions de l’écran. Faire écran à quelque chose, c’est le cacher tandis que l’écran de projection est le support de l’image, il la révèle et « l’écran noir de nos nuits blanches [1] » est là pour nous le rappeler.

Comme le montre l’étymologie, il est important d’évoquer la situation de l’objet écran dans l’espace. Le premier écran, celui de l’origine, c’est l’écran à, l’objet interposé entre le feu et les personnes assemblées autour du foyer. Cet objet dissimule le feu et par cette dissimulation protège du feu. L’écran est donc avant tout un obstacle et ce, avant de devenir support d’images c’est-à-dire écran de. Certes, le rôle de support apparaît de manière quasi concomitante à l’apparition de l’écran à comme le montre le reflet des flammes sur le pare-feu — écran. Cependant, ce décalage existe. Si l’écran à n’est pas toujours un écran de, l’écran de, lui est toujours un écran à.

Pare-feu du château de Chantilly

De nos jours, l’écran de occupe une place de plus en plus prépondérante pourtant, le sens premier d’écran à reste essentiel et contemporain. L’écran à protège toujours d’une source de rayonnement, d’ondes nuisibles et donc dangereuses. Ainsi, l’écran de plomb protège le radiologue des rayons X, l’écran solaire protège d’un soleil devenu de plus en plus ardant (avec la réduction de l’épaisseur de la couche d’ozone) ou encore l’écran antiparasite.

Dans le cas de l’écran solaire, écran aux rayons du soleil, l’absence de la préposition à est en fait une ellipse. Il en est de même pour l’écran antiparasites qui est, de fait, un écran aux parasites. Cependant, on peut s’interroger sur le sens de l’écran antiparasites. En effet, du point de vue grammaticale, l’emploi d’une “ double négation” pourrait s’avérer faire de cet écran une véritable passoire à moins qu’un écran aux antiparasites nous protège du Round-up. En fait, il ne s’agit pas d’un écran aux antiparasites, là encore la langue quotidienne pratique l’ellipse. Cette fois, c’est l’ellipse d’un tiret. De fait, il s’agit d’un mot composé : écran anti-parasites.

Aujourd’hui, comme par le passé, nombreux sont les usages de l’écran comme obstacle qui en font un “ semi-obstacle ” . Un écran solaire ou pare-feu totalement opérant rend le feu tout comme le temps passé à bronzer inutile... Toutefois, dans le cas des rayonnements radioactifs, l’efficacité est de rigueur...

Comme l’origine du mot nous le rappelle, l’écran est quelque chose qui s’interpose, il est entre deux, entre eux, entre le spectateur et l’image. Et cet obstacle à la lumière n’existe pas seulement pour la projection. En effet, pour voir l’image sur un écran, nous avons besoin d’un obstacle au rayonnement lumineux. Que ce soit l’écran de cinéma ou le tube cathodique, ils sont tous les deux le récepteur d’un rayonnement lumineux que le premier réfléchit tandis que le second, bien qu’il lui fasse obstacle, laisse malgré tout passer. Dans le cas contraire, il n’y aurait pas d’image. Tout comme l’eau, l’écran est un écho à lumière, il en laisse passer une partie et réfléchit le reste, car il n’existe d’écho que partial est partiel.

En fait, l’écran à et l’écran de se sont construits sur une réelle continuité entre les différentes techniques de production et de reproduction de l’image depuis l’image imprimée jusqu’à l’image numérique.

2 Écrans d’hier
Les technologies de l’impression sont un processus de reproduction basé sur la génération de points destinées à produire les teintes des images comme le montrent la sérigraphie et la trame offset et bien avant elles deux, l’aquateinte, la gravure au sucre ou encore la lithographie, ancêtre de l’offset.

 La sérigraphie et la trame offset
Ces deux écrans là, celui de la sérigraphie comme celui de l’offset sont construits sur le principe de la trame qui, elle-même, reprend la structure de la trame d’un tissu. C’est cette trame de points qui, une fois reportée, permettra la reproduction des nuances de l’image que cette image soit en couleur ou monochrome.

à gauche, un dégradé tel qu’il s’affiche sur un écran, à droite un dégradé tramé

Selon les techniques et les époques, cette trame est une grille régulière de points rectangulaires ou circulaires mais, cette structure apparaît à l’œil comme une disposition aléatoire malgré la régularité des formes et leur répartition alignée horizontalement et verticalement. En fait, les variations de densité, c’est-à-dire du nombre de points au centimètre-carré sont suffisantes pour “ effacer ”, d’un point de vue perceptif, l’alignement des points.

Dans cette mise en valeur la continuité technologique plutôt que de la rupture, le nom de l’outil utilisé par les imprimeurs, pour vérifier la qualité d’une impression : le compte-fil n’est pas anecdotique. En effet, quel est le point commun entre une trame d’impression et le nombre de fils d’un tissu puisqu’en imprimerie, il n’y a pas de fil ? En imprimerie, le compte-fil servait et sert toujours à vérifier la qualité du point produit par la trame d’impression : densité des points au centimètre et constance de la forme. Cependant, cet outil n’est pas le fruit de l’inventivité des imprimeurs. En fait, le compte-fils des imprimeurs est un simple détournement du compte-fils, outil de l’industrie textile destiné à la vérification de la qualité d’un tissu en comptant le nombre de fils horizontaux et verticaux de la trame présent au centimètre carré de tissu. Les tailleurs et les confectionneurs en font un usage similaire. En effet, avant d’être l’outil de contrôle des imprimeurs, le compte-fils est l’outil du contrôle qualité de la marchandise livrées par les tisserands.

 La sérigraphie
Et la sérigraphie, va nous permettre de répondre à la question du passage du compte-fils de l’une de ces industries à l’autre. En sérigraphie, pour imprimer, on utilise un tissu tendu sur un châssis. L’ensemble est appelé écran. La régularité des espaces entre les fils de la trame de l’écran d’impression est donc un élément essentiel à la qualité de l’image imprimée. En fait, dans le cas de la sérigraphie, la trame d’impression est le “ copycat ” de la trame du tissu.

Pour être efficace, cet écran se doit d’être un support provisoire des quantités d’encres destinées au papier. En effet, l’encre doit se transporter du dos de l’écran (côté de l’encrage) à la face (côté au contact du papier). Et dans les zones dessinées ou insolées, toute l’encre qui reste sur l’écran au lieu de se transférer sur le papier est un facteur de dégradation de la qualité de l’image imprimée. Donc, pour que ce transfert s’effectue correctement, ce support se doit d’être le plus transparent possible à l’encre. Il ne doit pas faire de rétention.

 L’offset
En offset, le procédé est différent, mais, le principe reste le même. Le procédé est différent car l’encre n’est pas transférée depuis une trame de fils placée entre la plaque offset et le papier. Ici, la trame [2], lors de la fabrication du cliché tramé —le cliché tramé, servira à la fabrication des 4 plaques offsets— a longtemps était placée entre l’image et le film photographique. Avec le numérique, l’étape du tramage est devenu une étape virtuelle.

Le but de cette opération était donc de produire une image tramée et agrandie au format de l’image ultérieurement imprimée sur l’affiche ou sur le journal. Son rôle est de générer le nuages de points nécessaires à l’impression d’une image photographique. Ici, de support de l’encre, la trame devient obstacle à la lumière lors de la reproduction de l’image (étape du cliché tramé maintenant remplacé par un tramage numérique) puis, support de l’encre lors de l’impression. Là encore, le film de tramage est un écran partiellement transparent lors de la fabrication du cliché tramé. Dans la seconde étape, ce cliché tramé se doit d’être le plus possible “transparent” à l’encre. En effet, l’encre résiduel sur la plaque, après impression, devra être réduite au strict minimum.

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