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Regard sur l’image

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- Le paysage à quoi cela sert ? V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Le paysage à quoi cela sert ? Origine
S’il est toutefois possible de parler d’une utilité du paysage alors, le paysage sert à laisser une trace, à marquer le terrain de notre empreinte. Nous inventons et nous multiplions les paysages parce que nous n’avons pas ou plus d’ouverture devant nous, parce que nous sommes enfermés dans la ville, parce que la nature est trop éloignée. Avec une naissance à la Renaissance, l’invention du paysage est parallèle au développement urbain. En quoi ce paysage là serait-il la métaphore d’une autre tentative de rompre d’autres clôtures que celle de l’horizon bouché ?

Chaque société définit et élabore un paysage-espace du monde naturel, de l’univers où elle vit en tentant, chacune à son tour, d’en faire, un ensemble signifiant. Dans cet ensemble paysage-espace—paysage-image doivent trouver place les objets et êtres naturels ou non qui importent à la vie de cette collectivité. En ce sens, ce paysage est fondamentalement le produit de la croyance que cette croyance soit issue des dieux, de la perspective ou d’une vision unifiée du monde où nous vivons, peu importe. Dans certains cas, cette croyance est la somme d’une croyance stricto-sensu à laquelle s’ajoute un savoir comme dans le cas du paysage de la Renaissance. On remarquera que la montée en puissance du paysage-image est parallèle à la sécularisation de la société occidentale.

L’idéogramme paysage - Paysage chinois et limite
Le paysage en chinois se dit montagne(s)-eau(x) ou montagne(s)-rivière(s) donc le paysage est ici interaction entre deux pôles : haut-bas ou vertical-horizontal, compact-fluide, opaque-transparent, mobile-immobile...

Pour les chinois, le paysage est une relation, un échange plutôt qu’un fragment, qu’une empreinte du regard de quelqu’un ou encore sa découpe. A la fois oppositions et réponses, cette vision est donc dynamique. « Le mot clé ici, c’est ’’limite’’, qui se dit en chinois : huà, 畫. Mais ce caractère veut d’abord dire ’’dessin, peinture’’. L’ambivalence de l’idéogramme instille le doute : est-ce le dessin qui est une limite ? Ou la limite qui est un dessin ? » [1] « si la vue se trouve bornée, alors ce que l’on voit n’est plus complet. » [2] L’échelle n’est pas une question du paysage asiatique. C’est pourquoi, un jardin japonais peut être s’assimiler à un paysage.

Le paysage n’est pas un objet mais un sujet car animé, c’est un partenaire, les chinois expriment le paysage, nous nous exprimons à travers le paysage. C’est cette expression à travers le paysage qui en fait, en Europe, une unité, une main mise visuelle, une préhension du regard. La nature est une matière, c’est-à-dire objet. Nous nous sommes séparés du paysage, nous le regardons de l’extérieur. Cette mise à distance nous a amené à penser le paysage comme une fenêtre. Cette fenêtre a permis la naissance de l’objectivité comme principe visuel puis, comme mode de pensée. En occident, le paysage a d’abord désigné une représentation, une image avant de désigner, l’espace, le lieu ou l’on habite. Preuve que l’image peut précéder le concept et pas seulement dans le domaine des plans d’architectures et de l’image de synthèse en trois dimensions. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de conception assistée par l’image plutôt que par l’ordinateur.

«  Concentré sur le regard et, pour y quérir plus d’objectivité remontant jusqu’à la formation rétinienne de la vision, la réflexion européenne sur la peinture s’est peu préoccupée, en revanche, de ce qui serait la condition de possibilité, non par fixation d’un dehors, mais par épuration au « dedans » ; détachement vis à vis du monde et recueillement. » [3]

Biologiquement parlant, la peinture européenne est une peinture introspective, dans le sens où elle fixe ce qui se pose sur l’œil. Le peintre occidentale focalise, pénètre du regard, il est tendu vers le paysage. « Les éléments de figure, les couleurs, les mouvements étant donnés dans la nature, le peintre albertien les assemble pour les besoins de la composition en en produisant des équivalents (imitari, dit précisément Alberti) dont la pertinence, dès lors, doit être, à tout moment vérifiable : il suffira de réfléchir la nature en un miroir, maître et guide du peintre, dit Léonard, pour les y confronter. » [4]

La représentation occidentale implique que l’image renvoie à des arbres réels. Pour l’Asie, peindre un bambou, c’est peindre un processus de croissance et non peindre une succession de nœuds, de feuilles et de tiges qui le forment. Alors peindre un paysage serait-il peindre toutes les saisons du paysage ? Le vision du photographe Yann-Arthus Bertrand ne peut pas exister dans la peinture chinoise traditionnelle car elle est enfermée dans l’iconicité, dans la peinture du moindre noeuds, de la moindre feuilles et tiges de bambou.

Tandis que, toujours biologiquement parlant, si l’on peut dire, la peinture chinoise est une “extrospection” du recueillement ou encore une introspection métaphysique.

Ces deux peintures sont un recueillement : cueillir à nouveau le monde. Le peintre chinois se détend pour se laisser pénétrer dans une « intentionnalité harmonieuse ». Le peintre occidental atteint le recueillement par le travail, le peintre chinois par la disponibilité, le jaillissement. Par ce jaillissement, la peinture chinoise est une peinture d’idées tandis que la peinture occidentale est plus une peinture de concepts.

L’une choisit de recueillir ce qui se passe à l’intérieur de l’œil, du processus de la vision tandis que l’autre choisit le paysage, ce qui se passe à l’extérieur de soi lors d’une rencontre spirituelle et d’un accord silencieux avec le paysage. La peinture occidentale saisit le monde, le fige, le prend à bras le corps, le manipule dans le sens de travailler avec les mains tandis que le monde saisit le peintre chinois, le pénètre et conduit son travail. Pour les Chinois, un phénomène n’existe pas comme en-soi, mais par les tensions qui le traverse et s’en dégage.

« Il n’y a pas là de ’’représentation’’ dans la mesure où la figuration n’est pas envisagée selon ce qui serait sa capacité à renvoyer à (des arbres ’’dans la réalité’’ ; la ’’nature’’) ; ce n’est pas de rendre (à nouveau) présent quelque « cela » qui motive ici le peintre chinois[...] » [5]. En cela, Braque lorsqu’il affirme qu’ « écrire n’est pas décrire et peindre n’est pas dépeindre ! » pourrait suggérer quelque chose de chinois aussi étrange que cela puisse paraître pour un peintre cubiste et si tant est qu’un concept puisse parler d’une idée. La peinture chinoise se situant plutôt du côté de l’idée alors que le cubisme est à proprement parler une peinture de concept. «  Ce qui différencie le cubisme de l’ancienne peinture, c’est qu’il n’est pas un art d’imitation, mais un art de conception qui tend à s’élever jusqu’à la création.
En représentant la réalité-conçue ou la réalité-créée, le peintre peut donner l’apparence de trois dimensions, pour en quelque sorte cubiquer.
 » [6]

En rendant le cadre mouvant, le cinéma serait-il une tentative de faire disparaître le cadre par le parcours de la scène ou du paysage ? La manière occidentale de repousser indéfiniment les limites du cadre.

Conclusion très provisoire
La peinture occidentale rivalise avec le néant, elle est engendrée par la page blanche, elle jaillit de la page blanche. Crée est un combat contre le néant. La peinture chinoise est issue du mariage du papier et de l’encre, ils collaborent ensemble ou plutôt à trois : la peinture-encre le papier et le geste. Dans cette rivalité avec le néant, digne de Don Quichotte, la peinture occidentale n’a jamais cessé de rêver de produire de nouvelles couleurs. En cela, les 16 millions de couleurs annoncées par le numérique sont un Graal merveilleux même ou surtout si ces 16 millions de couleurs n’existent pas. D’un point de vue perceptif, elles ne sont au mieux que 16 millions de teintes métaphoriques qui ne nous servent qu’à exprimer la capacité de l’œil à détecter une rupture de continuité. Cette vision pourrait-être alors, bien malgré nous, une tentative d’approche de la pensée asiatique.

«  Comme s’il s’agissait de sauver leur pensée de la peinture tant de la contrainte mimétique que du Risque créateur, ces théoriciens n’ont cessé de s’appuyer, en effet, sur la logique d’immanence que la pensée chinoise, sans relâche, a tenté d’élucider [...] » [7]

«  Malgré leur application technique, les peintres de là-bas ne cherchent qu’à reproduire la réalité telle qu’elle est ; ils se contentent de vouloir imiter l’inimitable sans aller au-delà des apparences, sans vouloir lui insuffler la vie, le mouvement. Le dessin, la peinture, ce n’est pas la représentation des montagnes, des rochers, des arbres, des fleurs tels qu’ils sont en réalité, mais tels qu’on les perçoit dans l’atmosphère et l’état d’esprit du moment.  » [8]

Cependant, il est une autre différence. Chez nous, la capacité morale n’a jamais été liée à la capacité de produire une œuvre d’art malgré la difficulté qu’ont certains occidentaux à apprécier Blaise Cendras, Heidegger ou Dali pour ne citer que quelques cas. En effet, pour la Chine et, peut-être pour l’Asie, « Si la capacité morale de la personne est haute, la résonance spirituelle de sa peinture ne peut pas ne pas l’être également » et « si cette résonance spirituelle est haute. La peinture est forcément traversée de vie et de mouvement. » [9]

En occident, au moment de la naissance de la perspective, l’insondable unique c’est Dieu,. En Asie, l’insondable, c’est aussi le paysage.

Hervé Bernard 2017

Voir aussi
- Le paysage, imagination du réel

- Le paysage, fiction - imagination du réel V2

- En ligne droite ! (Le Jardin des Tuileries)

Les deux parties de ll’entretien
avec Gilles Clément réalisé pour TK-21 LaRevue

et avec Louis Benech