Regard sur l’image

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- Le paysage, fiction - imagination du réel V2Photographies panoramiques

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Étymologiquement, le paysage est une étendue de pays que l’œil embrasse dans son ensemble. Point de vue sur un espace qu’il soit urbain ou champêtre, le paysage est aussi un genre d’image qui représente simultanément un pays et son ciel. En effet, l’une des particularités du paysage est d’être toujours constitué de deux étendues : ciel et terre. Supprimer le ciel, il ne reste alors que du sol et de la mer ou encore de la terre ou de l’eau ; supprimer l’eau ou la terre, il ne reste que du ciel. Le paysage a disparu.

Mes panoramiques sont caractérisés par une forte présence du ciel, seul élément du paysage resté pendant longtemps vierge de toute intervention de la main de l’homme. Dans ces images, le ciel est un espace essentiel car il contribue à la création de la profondeur. Le bleu est une couleur rare sur la terre hormis, parfois, l’eau et la glace lorsqu’elles réfléchissent ce ciel. Je définis le paysage comme l’espace de séparation entre la terre et le ciel, entre le ciel et l’eau et entre la terre et l’eau.

La présence de l’homme dans ces paysages est l’autre élément les caractérisant. Bien que physiquement absent dans mes images, sa présence y est indéniable. En effet, partout où il se trouve, il laisse une trace : sillage, construction(s), objets abandonnés et même des nuages quasi-permanents...

Photographier un paysage, ce n’est pas le copier. La photographie de paysage n’est pas mimétique, si, toutefois, il existe une photographie mimétique. Photographier un paysage, c’est le construire, et construire, c’est interpréter comme nous le rappelle Charles Baudelaire pour qui « peindre un paysage ne consiste pas à copier la nature mais, à l’interpréter dans une langue plus simple et plus lumineuse. ».

De fait, dans son sens étymologique, le paysage est l’ensemble des traits, des caractères, des formes qui composent un territoire, un « pays », une portion de l’espace terrestre, perçu par un observateur depuis un point de vue. Il est donc une création, une interprétation de l’espace. Si le format « panoramique » constitue un point de vue majeur sur le paysage, c’est parce que le paysage est une question de regard.

Le paysage peut aussi être considéré comme la résultante de l’action conjointe de l’Humain et du monde vivant (animal, végétal, fongique...). Cette conception prédomine en écologie du paysage qui étudie dans le temps et l’espace (unités biogéographiques) la dynamique et l’agencement des taches qui le « composent ». En cela, le paysage est le témoignage de l’empreinte de l’humanité sur notre planète.

Le paysage est une échelle intermédiaire : entre le planétaire (biosphère) et le local. On y trouve aussi ce qui constitue les réseaux de communications et se matérialise par des barrières, des fragmentations de l’espace : barrières de l’autoroute, des ponts, de la voie de trains à grande vitesse, des lignes à haute-tension...

Mais, revenons au ciel. Les nuages animent le ciel et, par conséquent, le paysage ; ils sont les maîtres de la lumière. Ils animent le paysage par le mouvement des ombres et des lumières. Tel les galets de Brassaï [1], les nuages sont polis par l’incessant va-et-vient du vent, les nuages sortent manufacturés de la gigantesque usine éolienne. Ils témoignent ainsi de la certitude que le paysage est, lui aussi, le fruit de notre imagination.

L’homme est le premier animal doté du pouvoir de fabriquer des nuages et cela va bien au-delà des simples signaux de fumées –même s’ils proviennent des usines– comme nous le font remarquer les traces d’avions, quasi permanentes, tant elles sont multiples sous nos cieux. Cependant, se sont avant tout les nuages fabriqués à longueur d’années par les tours de refroidissement de nos centrales thermiques qui marquent le ciel par un poids indéniable. Ces derniers nuages, en cela, se distinguent de ceux produits par les usines marqués par leur intermittence plus ou moins grande et surtout par un désir de leur donner une invisibilité.

Si mes images rendent compte de quelque chose, ce n’est pas de la nature mais plutôt de l’artificialité de la nature, c’est-à-dire finalement de son « humanisation ». Ces panoramiques sont une synthèse du paysage romantique, du paysage naturalise et du paysage classique ou encore de notre sentiment d’impuissance face aux forces de la nature, de notre croyance en une harmonie entre l’homme et la nature et de notre volonté de la dompter. Pourtant, ces photographies ne sont pas naturalistes. Elles ne donnent pas à voir une quelconque harmonie entre l’Humanité et la Nature ; elles ne sont pas non plus topographiques, car les lieux représentés ne sont pas identifiables.

Ce choix pleinement revendiqué est lié à cette conviction que la photographie n’est pas mimétique. Ces images sont donc des paysages considérés comme une « perception visuelle à perte de vue » de notre environnement. C’est pour cela qu’aucune légende ne vient suggérer de piste(s) topographique(s). Piste(s) d’autant plus inutile(s) que l’homme voyage avec ses paysages. En fonction de nos sources, nous affirmeront que tel paysage est cubain, vosgien ou encore andalou... Ces paysages sont un champ ouvert à notre imagination lui permettant d’appréhender de nouvelles strates du réel.

Au-delà des nuages, « à perte de vue » dans ces paysages signifie que le regard est conduit vers l’espace intersidéral. Le paysage nous rappelle alors qu’à l’échelle de notre galaxie, l’espace terrestre appartient au paysage interplanétaire.

© Hervé Bernard 2010 - 2012

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Regard sur l’image,
un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur,
format : 21 x 28 cm,
France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
Tarif pour la CEE et la Suisse 52,00 € , dont frais d’expédition 6,98 €,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
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