Regard sur l’image

Accueil > Français > Les mots des images > Libres interprétations > Lumière dans la Cité, vecteur de cohésion sociale ? #3 V2

- Lumière dans la Cité, vecteur de cohésion sociale ? #3 V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Intervention faite pour « Lumière dans la Cité #3 » organisé par Les Idées Lumières dans le cadre de la 2e Nuit des Débats, le 24 mars 2017 à la Belleviloise.

Introduction Lumières 2.3.4.0...

Pour cette troisième édition de "Lumière dans la Cité", nous allons sonder la lumière comme manière de faire société, de ces usages induits par les nouvelles technologies de la lumière, tous ces rites et rituels, espaces, territoires et langages nouveaux.

Avec la participation de Catherine Balet, photographe "Strangers in the Light" - Cristina Hoffmann, plasticienne "Work-In-Public" les SuperMuses - Yacine Ait-Kaci alias YAK, artiste " Elyx " - Sarah Roshem, docteur en Art "Stillight" - Hervé Bernard, plasticien & écrivain "Regard sur l’image" - Divina Frau-Meigs, sociologue "Lumières, Écrans, Technologies de l’information, foyers 2.0" - Luc Gwiazdzinski, géographe "Nuits hybrides". Modération Zorica Matic, présidente fondatrice de l’Association "Les Idées Lumières".

Introduction
L’Anthropocène, ce nouvel ère géologique qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre, à travers des axes comme l’eau, le paysage, l’urbanisme et la place de l’homme dans la ville, est un thème central de mes créations picturales.

Il se trouve que parmi les nombreuses activités humaines qui ont contribué à la naissance de ce nouvel ère, la production de lumière qui nous a longtemps semblée banale, est, maintenant, au cœur de ce nouvel ère géologique. En effet, notre production de lumière a atteint un niveau fortement perturbateur de notre rythme naturel mais aussi de celui de tous les êtres vivants peuplant notre planète y compris les plantes. Plus aucun endroit du monde n’est à l’abri de nos lumières.

Parce que j’écris avec les yeux, et pas simplement parce que ma formation initiale est celle d’un photographe, la lumière est au cœur de mon travail. Plus largement, la lumière est au cœur de la vie sur terre, elle en est même l’un des fondements. Son impact va donc bien au-delà de la symbolique. Il est concret.

Cependant, elle est aussi l’un des fondements de la symbolique par sa présence permanente y compris dans la nuit. Dans la nuit on retrouve la lumière de la lune, des étoiles, mais aussi depuis la nuit des temps, la lumière autrefois produite par le feu. Depuis, on ne s’est pas beaucoup éloigné du feu que l’on a tout simplement domestiqué puis, produit différemment comme nous le rappelle le filament des lampes au tungstène.

1 La lumière domestiquée
Domestiquer la lumière ! Quelle idée bien étrange et, pourtant, l’homme a passé son temps à cela. Avec le temps, cette domestication c’est même affinée. Il y eut le feu puis, les bougies et maintenant, avec les projecteurs, cette domestication atteint un raffinement longtemps inimaginable. En effet, les cellules photoélectriques sont le garant de la bonne éducation des projecteurs qui obéissent non seulement au doigt et à l’œil mais aussi proportionnellement à la décroissance de la lumière ambiante. Tellement bien apprivoisés qu’ils obtempèrent au moindre claquements de doigts ou de mains, tellement obéissant que nous pouvons constater que la lumière de ce XXIe siècle est bien disciplinée comme nous le montre la série Strangers in the Light de la photographe Catherine Balet. Série toutefois bien paradoxale puisqu’éclairée par des objets : les écrans, des objets sensés faire obstacle à la lumière.

Le miroir, quant à lui, bien que nous l’ayons oublié est, lui aussi, un dresseur de lumière. Certes, ce rôle d’éclaircir les coins reculés paraît secondaire à bon nombre face à sa contribution à la fabrique des images. Cependant, il fait partie des maîtres de la lumière comme les photographes le savent. Maître de la lumière certes, mais maître bien particulier puisque comme tous les réflecteurs, il ne réfléchit que parce qu’il est un obstacle.

Illustration d’Amélie, un conte d’Hervé Bernard

Cependant, cette particularité de faire obstacle à la lumière s’est doublée pour les écrans modernes, d’une capacité à émettre et réfléchir de la lumière, émettre, parce que quelles que soient les écrans que nous utilisons, à l’exception de l’écran de cinéma , tous ces écrans sont des sources de lumière. Mais aussi, réfléchir, car tous ces écrans se gardent bien d’être des émetteurs omni-directionnel. Cette contrainte de la lumière transforme les écrans et en fait des réflecteurs et des sources lumineuses directes.

Dans ce processus d’apprivoisement de la lumière, la flamme de la bougie et le filament de métal chauffé ont été des étapes importantes. Cependant, l’invention des rideaux en dentelle, de la transparence du verre ont été d’autres étapes toutes aussi importantes dans cette domestication. D’autant plus important que ces objets ont permis de transformer sa symbolique.

2 La Tour-Eiffel, le Phare de l’immigration ?
Le phare permet aux habitants de son territoire de voir le lointain et, simultanément, il protège les navigateurs qui voguent à proximité de ce territoire. Le phare les alerte sur les dangers à passer auprès de nos côtes.

Pinocchio


Le phare permet de naviguer en toute sécurité. Pour les navigateurs, voir la menace des récifs et récits permet de les éviter soit pour accoster soit pour continuer le voyage sans risque d’éperonner un récif.

Le phare est le gage de l’absence des naufrageurs. Le phare révèle nos récifs et la menace qu’ils représentent pour les navigateurs qu’ils fassent du cabotage ou naviguent aux larges des ’’côtes’’ de l’Île-de-France. Grâce au phare, ils n’éperonneront pas les récifs.

La Tour Eiffel est-elle pour cela l’un des Phares de Charles Baudelaire ? Est-elle « Seigneur, le meilleur témoignage / Que nous puissions donner de notre dignité / Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge / Et vient mourir au bord de votre éternité !  »

Si la Tour Eiffel est un Phare, sommes-nous l’île ou le navire ? Si nous sommes le navire, l’extinction du Phare ne nous aidera pas à voir les nombreux récifs qui nous entourent. Si nous sommes l’île, éteindre le phare n’est pas une meilleure solution. Tous les navires qui passent au large viendront se jeter sur nos récifs et leurs passagers viendront s’échouer morts ou vifs sur nos côtes. Cette protection là, l’extinction du Phare est inopérante. Et, elle est d’autant plus inopérante que tel une étoile, la lumière du Phare de Paris continuera à émettre en direction des pays victimes de catastrophes longtemps après son extinction. Il faudra encore de nombreuses années, certes pas des années lumières, mais de nombreuses années tout de même avant que la capacité d’attraction du Phare de la Tour-Eiffel ne cesse d’attirer le reste du monde. Même pour nous, l’extinction de ce pouvoir d’attraction est-il souhaitable ?

L’autre grand phare de l’histoire occidentale, c’est le phare d’Alexandrie. C’est même l’étalon phare lui qui protégeait la plus grande bibliothèque du monde de toutes les catastrophes à l’exception du tremblement de terre. Son histoire nous rappelle ainsi nos limites. Curieusement donc, le rôle du phare est tout aussi équivoque que celui de ces barbelés que l’on appela en d’autres temps ronces artificielles.

Barbelés entoilés / Interwoven barbed wire
© Hervé Bernard 2014

Par nature, la lumière est informelle dans les deux sens de ce mot, informelle parce qu’elle que soit la forme qu’elle prend, celle-ci reste provisoire et informelle parce qu’elle crée une hiérarchie mouvante.
Son rôle est si fondamentale qu’il se concrétise dans deux expressions :
 être sous les feux de la rampe
 marche à l’ombre.

Quant à « Elyx » le personnage créé par YAK, en tant que silhouette, qu’il marche à l’ombre ou sous les feux de la rampe, il n’a point d’ombre comme le veut l’arbitraire des règles de ce genre de dessin. Il est vrai qu’un sourire ne supporte pas l’ombre d’un doute à tel point que lorsqu’un visage ne porte plus l’ombre d’un sourire, il a perdu son rayonnement, sa flamme est éteinte.

La flamme est éteinte, comment la rallumer ? N’est-ce pas le projet de Stillight de Sarah Roshem ou plus précisément : éviter que la flamme s’éteigne. Revival Project ? Ou plutôt manière de penser nos évolutions potentielles comme le Cab nous les montre. Penser nos évolutions potentielles quitte à s’en éloigner, voire les écarter ou au contraire s’en rapprocher selon le regard porté sur notre futur qui s’éclaire face à ces représentations de cire que l’on se gardera bien d’allumer. Allons-nous nous rencontrer plus souvent autour de Stilllight qu’autour des blocs de granit noir ou gris qui peuplent nos cimetières.

La technique est-elle un phare ? Cette question est au cœur de « Work-In-Public », les SuperMuses de Cristina Hoffman. Il est certain que ce projet éclaire la lanterne de personnes qui sont bien souvent laissées à l’ombre du monde technique. Il n’est pas certain que la technique soit un Phare mais, au même titre que la bougie ou la lampe à pétrole autrefois, son utilisation est devenue indispensable à la compréhension du monde. Cependant, la technique de notre monde, contrairement à la lampe à pétrole a un mode d’emploi complexe et son ignorance nous transforme en ombre de nous-même dans un monde où le moindre papier administratif nécessite maintenant l’accès à un ordinateur.

Au premier abord distendu, les liens entre le Phare et la géographie sont intimes. En effet, la carte de géographie servira aux navigateurs à contrôler l’identité de la lueur entraperçue dans le lointain. Est-elle bien celle d’un phare et non celle d’un feu allumé par des naufrageurs ? Elle lui donnera, couplée à des instruments de mesure du positionnement du navire, l’identité du phare entre aperçu. La carte de géographie, le phare et la position des étoiles et ou du soleil sont donc des garants, le faisceau de preuve nécessaire à la détermination de l’identité du phare et, par conséquent, de l’exactitude du trajet parcouru. Et comme nous le rappelle Luc Gwiazdzinski, le phare, c’est aussi le point de rencontres. Quant à la Tour-Eiffel, on peut cependant s’interroger sur sa capacité à rester un lieu de rencontre dans la mesure où elle devrait être prochainement être entourée d’un mur de verre transparent. Transparence érigée dans la plus grande opacité, les tenants et les aboutissants de cette décision étant des plus obscurs. Cet écran-là, bien loin d’être virtuel va contribuer à notre enfermement.

Image extraite de la série Les ronces de l’environnement

Parfois, la lumière est aussi une métaphore, c’est notamment le cas lorsque la sociologie explore l’usage des écrans comme le fait Divina Frau-Meigs qui explore les modifications de la société civile transformée par ces écrans issus du numérique et la manifestation visuelle quotidienne la plus frappante du numérique. Écrans, tellement présent qu’ils deviennent support de publicité dans le métro. Ce qui est d’ailleurs la manifestation de notre immense mépris pour la question écologique.

© Hervé Bernard 2017

Organisation : Les Idées Lumières
L’Association Les Idées Lumières, a pour objet de développer et promouvoir la dimension culturelle du sujet « Lumière ».
Ses actions placent l’Art et la Lumière et ses applications au cœur de nombreuses préoccupations, qu’elles soient politiques, économiques, artistiques, sociales et sociétales ou, en interaction avec les différents champs du savoir.
#NuitDesDébats