Regard sur l’image

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- Ni légende, ni titre

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Les portraits de survivants de l’Holocauste, réalisé par Jeffrey Wolin, avec en arrière-plan un texte écrit de la main du portraituré, sont dans un entre-deux du titre et de la légende. Ni titre ni légende, car ces textes ne sont ni l’œuvre du photographe, ni d’une tierce personne qui, dans ce cas, l’écrirait pour donner une information sur la personne photographiée ou encore sur les conditions de prise de vue. Certes ces textes donnent bien une information sur le sujet de la photo mais, d’une part ils sont trop longs pour être des titres et d’autre part, leur lecture est interrompue par la personne photographiée car ils sont situés en arrière-plan, ce qui, outre leur longueur, ne peut en faire des légendes. En effet, l’une des caractéristiques de la légende est d’être intégralement lisible.

Pourtant, si ce texte se rapproche de la légende, son invariabilité l’oppose simultanément, car la légende se caractérise par sa variabilité : elle change avec le support de publication. De plus, contrairement à une légende, ce texte ne peut se lire que sur des tirages grand-formats. Là encore, nous sommes donc en contradiction avec l’une des caractéristiques de la légende qui se doit comme nous le disions précédemment de rester lisible.

Par ailleurs, contrairement à d’autres démarches, comme celle de François-Marie Banier, ici le texte est écrit avant la prise de vue, il est donc intégré au négatif, il ne peut donc garantir l’unicité du tirage selon les critères du marché de l’art, contrairement à texte écrit sur le tirage.

Comme le montre Maria Giulia Dondero, qui s’interroge sur l’œuvre du photographe François-Marie Banier, le syncrétisme modifie le statut véridictoire de la photo comme genre d’image éminemment reproductible : « L’écriture calligraphique permet en effet de faire de cette œuvre-là, l’unique tirage légitimé par l’énonciateur car signé par le geste corporel. » L’écriture devient par là une signature corporelle de l’énonciateur qui authentifie un unique tirage photographique. Cette réflexion générique s’enrichit de toutes sortes de considérations sur la disposition des écritures sur la surface des photographies : entrant en relation avec les formats figuratifs ou non, enregistrant le « faire » gestuel et sensori-moteur de l’auteur ou s’intégrant comme un élément du monde représenté, ou encore comme notation à déchiffrer, comme orientation du regard de l’observateur ou comme simple texture. Dondero est sensible aux différents effets de sens qu’on peut dégager d’une telle démarche : effet d’animation de l’image, effet-contour, effet-enveloppe des figures, effet-surface ou effet-profondeur, effet-prothèse discursive à la figuration. Elle insiste même sur la « tonicité du dire » dans certaines photos où l’écriture sature tout l’espace disponible. Le syncrétisme ne se limite donc pas à l’alliage photographie-écriture mais concerne jusqu’aux seuils de discrimination de l’image. On remarquera que dans le cas de Jeffrey Wolin, l’écriture est à la fois créatrice d’effet-surface et d’effet-profondeur.

Par ailleurs, Jeffrey Wolin a donné un titre à cette série : « Portraits of the Holocaust », titre curieux par son équivoque en français comme en anglais. En effet, ces photos ne sont pas des scènes de l’Holocauste mais des portraits de survivants qui tiennent si, celle-ci existe, une photo le représentant peu avant son internement… En fait, pour être parfaitement précise, elle aurait du s’appeler « Portraits de survivants de l’Holocauste ».

Finalement, ces textes sont des légendes au sens étymologique du mot puisqu’au Moyen-âge “Legenda” signifie « ce qui doit être lu ».