Regard sur l’image

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- Le Festival du Film de Cannes, un festival sous le haut-patronage d’Écho

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Bien que ma fréquentation du Festival du Film de Cannes soit insuffisante pour savoir si le Festival est coutumier du fait mais, cette année, les films en compétition officielle et les films hors compétition étaient parcourus par une convergence souterraine que certains appelleraient effet d’écho.

Ainsi, nous pourrions regrouper un grand nombre de films car ils parlent du « vivre ensemble » : A l’origine, Looking for Éric, Fish Tank, Los Abrazos Rotos, Le Prophète, Le Ruban Blanc (Das Weiße Band), quitte à d’ailleurs mal vivre ensemble comme dans Le Ruban Blanc, Fish Tank, Antichrist, Enter the Void (Soudain le vide) Le Prophète, ou encore The time that remains et Vincere. Puis les séparer en deux catégories : la catégorie où ce « vivre ensemble » est possible, même si c’est au prix de souffrance, et la catégorie où ce « vivre ensemble » est destructeur.

Cet assemblage fait, on constate alors que l’ensemble de ces films est lié par la violence, qu’elle soit faite aux enfants, aux adultes mais aussi par la violence la plus destructrice - la violence de l’omerta, du silence, de la non-reconnaissance des faits. Cette violence là relie tous ces films sur le « mal vivre ensemble ». Et on est alors amené à faire une autre constatation : ce « vivre ensemble » ne devient possible qu’à partir du moment où cette loi du silence est rompue. Car la violence de cette omerta engendre d’autres violences. Ainsi, dans Fish Tank, l’héroïne kidnappe la petite fille du compagnon de sa mère, c’est-à-dire l’homme qui l’a violée - kidnapping qui est à deux doigts de finir tragiquement.

Dans Le Prophète, c’est la violence du milieu carcéral qui entraîne un petit délinquant vers la mafia. Itinéraire qui le conduira à devenir lui-même chef national de la mafia. Dans Le Ruban Blanc, c’est la violence des enfants entre eux, envers les adultes tout comme la violence des adultes entre eux ou envers les enfants et là aussi, ce silence générera une autre violence, la violence nazie. Cependant, dans le cas de ce film, tout comme dans le cas du Prophète, réduire Le Ruban Blanc (Hanneke) à une dénonciation des causes du nazisme ou pour Le Prophète (Jacques Audiard), réduire ce film a une dénonciation de la mafia corse revient à confondre la parabole ou la métaphore, donc l’image avec le sujet du film. Le Ruban blanc est une dénonciation de la violence des clercs : médecin, hobereaux, prêtres (…) non reconnue et par conséquent restée impunie tout comme Le Prophète est une dénonciation de la collusion des mafias. Dans les deux cas, le contexte historique est un prétexte à dénoncer un phénomène beaucoup plus large et réduire la portée d’une oeuvre artistique est une stratégie efficace pour éviter de se remettre en cause.

Autre correspondance souterraine, celle qui lie Le Prophète et Looking For Éric (Ken Loach) et qui fait de ces deux films des miroirs l’un de l’autre à moins que ces correspondances n’en fassent des films en écho. En effet, si le premier fait un constat de la violence de notre situation en nous parlant de l’inefficacité des prisons et de la violence carcérale, le second montre que l’on peut agir contre la violence des mafias sans tomber dans leurs travers. Pour cela deux conditions sont requises : nommer la violence et faire preuve d’imagination.

Viens alors À l’origine, qui nous raconte comment un escroc à la petite semaine porté par le succès de son escroquerie se trouve dans une situation telle qu’il ne peut faire autre chose que de croire en son escroquerie. Croyance qui l’amène à devenir ce que tout le monde rêve qu’il est : un apporteur d’espoir comme l’on parle d’apporteur d’affaires. En effet, cet espoir qu’il donne involontairement aux autres, il finit par le recevoir lui-même à travers une histoire d’amour. Ce qui fait de À l’origine un film de rédemption tout comme Los Abrazos Rotos (Étreintes Brisées). Rédemption que Almodovar recherchait désespérément dans tous ses films précédents sans jamais l’atteindre et qu’il nous offre au prix de beaucoup de souffrances. Tout comme Looking for Éric est un film de rédemption pour ce père qui laisse dériver l’un des enfants qu’il a à sa garde. Dérive qui s’interrompt dés lors qu’il nomme cette violence que l’on fait non seulement à son fils mais à son autre fils et à lui-même. À partir de cette reconnaissance, la lutte peut commencer.

Rédemption absente de Fish Tank où la victime ne peut énoncer la violence de l’inceste mais aussi celle de la tromperie. En effet, cet homme lui fait croire qu’il pourrait être ce beau-père tant attendu qui cadrerait une mère qui passe sa vie à imaginer sa fille en rivale. Rivalité fantasmée et déjà à elle seule incestuelle, rivalité qui rend cette mère incapable d’assumer ses propres échecs amoureux. Seule cette reconnaissance lui permettrait de voir la détresse de sa fille.

Violence de l’inceste entre le frère et la sœur dans Enter the void (Soudain le vide) où deux enfants survivants à l’accident où périssent leurs parents décident de ne jamais se quitter. Violence de ce monde d’adulte où personne n’est là pour leur faire comprendre que cette promesse d’enfants doit être brisée. Violence d’un monde adulte qui a aucun moment ne fera son travail, au sens d’accouchement, pour que ces deux enfants puissent faire le deuil de leurs parents. Mort déniée à travers la constitution de ce couple. Couple de frère et sœur qui poussera l’inceste au-delà de toutes limites puisque le frère se réincarnera dans le bébé de sa sœur.

Et à travers ces morts inacceptées et inacceptables on arrive à l’autre grande violence de ce festival et il ne s’agit pas de la violence de la torture mutuelle bien qu’elle est la puissance d’une image esthétique et la puissance d’un couple infernal qui faute d’accepter la mort de son enfant [1] va vers une destruction mutuelle validée par un retour aux croyances moyennageuses les plus terrifiantes. Il s’agit d’ Antichrist de Lars Von Trier qui assimile la femme à la sorcellerie et la nature au diable et cette violence est immense tout aussi immense que celle de Soudain le vide (Gaspard Noé) car ces films sont réalisés non seulement avec une grande virtuosité technique mais aussi avec une toute aussi grande virtuosité esthétique pour Antichrist. Violence, car tout comme Soudain le vide, Antichrist tend à détruire l’un des piliers de notre société. En effet, ce film travaille à la destruction de la reconnaissance de la femme et de sa capacité créatrice. Certes, certains diront de cette reconnaissance qu’elle est lente et insuffisante mais tout de même notre société reconnait dans la femme autre chose qu’une puissance de destruction. Assimiler la femme à la sorcellerie c’est accepter de retourner dans les bas-fonds du Moyen-Age.

Quant aux deux films qui abordent clairement le vivre ensemble à travers le politique c’est-à-dire The Time that remains et Vincere, ils confirment eux aussi destructrice la force cette loi du silence. The time that remains, quant à lui, montre combien notre silence à tous autour de la cause palestinienne est lui aussi destructeur de la vie d’êtres à qui il ne reste que deux choix : somatiser ou lancer des pierres.

Vincere achèvera ce compte rendu et s’il est bien un film dans cette sélection officielle qui se bat d’un bout à l’autre contre la loi du silence c’est ce film de Bellochio qui narre le combat de l’une des femmes de Mussolini pour sa reconnaissance officielle et la reconnaissance de son fils. Un combat contre la folie du silence et du dénie. Comte-tenu de l’actualité politique italienne il est possible que ce film nous parle aussi du présent. Là aussi, essayons de ne pas confonde l’histoire d’un film ; d’un roman et son sujet.

© Hervé Bernard 2009