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- Lost , à la conquête de la Nouvelle Frontière : le temps.

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Lost, un monde marqué par une culpabilité secrète

Le pays de Lost, comme on dit le pays du magicien d’Oz car les événements y sont tout aussi étranges, est un pays désert. Pourtant de mystérieux et incompréhensibles autochtones y résident : les « Autres » ; ils occupent un intérieur inconnu et paradisiaque que quelques intrépides tel Jack, John, Kate et Sawyer acceptent de découvrir. Ces éléments donnent le « la » de la série et plantent immédiatement ses liens avec le western. Dans le pays de Lost, faute d’un autre nom, nous retrouvons de vastes étendues, une loi verbale en place chez les arrivants comme chez les habitants de l’intérieur : « les Autres », (terme quelque peu méprisant, voir raciste par son absence de dénomination, nommer, c’est déjà reconnaître l’autre, rester dans l’indéfini, c’est en faire une chose) et des personnages au passé mystérieux mais dissimulant toujours une faute cachée. Ces éléments font de cette série bien plus qu’une citation du western. Ils font de Lost une relecture de ce genre cinématographique.

Lost célèbre, au nom des États-Unis, le retour à un passé idéal devenu mythique, un passé où il resterait encore des terres à explorer, où le monde ne serait pas finie et où à l’ouest, il y aurait justement du nouveau. Cette série exprime le désir d’un retour à l’état du western c’est-à-dire un monde manichéen souvent vécu comme un état de nature.

En fait, chaque épisode est un western et, chaque partie telle une poupée russe est, quand à elle, une suite de westerns, un western à épisodes certes mais ; ici, contrairement au western classique ou aux westerns intersidérales (cf les films de Spielberg), la mobilité n’est pas spatiale (géographique) mais temporelle faute d’espace dans cette ile réduite. Sa taille, même par analogie à une ile connue, reste impossible à déterminer. On peut cependant l’estimer à deux jours de marche. Mobilité temporelle à défaut d’une mobilité spatiale mais, cette mobilité est tout aussi incessante Tout comme le western, Lost est marqué par une culpabilité secrète qui nous renvoie à ce paradis perdu que certains ont cru découvrir en arrivant en Amérique ou dans les Indes. « La piste des géants » de Raoul Walsh pourrait d’ailleurs être une introduction à la série. En effet, ici aussi les deux chefs du « convoi », Jack Sheppard et John Locke sont, eux aussi, entachés d’une faute secrète. On remarquera au passage que le nom de famille de Jack est quasiment identique au rôle qu’il tient. En effet, à un e prêt, son nom décrit son rôle : berger (shephard tandis que le berger se dit en anglais shepherd). Quant à John, certes son nom nous rappelle un philosophe qui porte le même prénom, mais, à un e de trop, cette fois, il signifie aussi verrou. Là aussi, l’analogie nous semble porteuse de sens. Si, de fait, ce personnage a des émotions, elles restent extrêmement verrouillées et surtout il verrouillera toute la fin de la série en tenant un double rôle : le sien et celui de la fumée noire. Quant à son comportement empiriste, tout en étant un homme de foi, il peut-être évalué comme un comportement issu des écrits de son homonyme. Cette foi n’est pas sans rappeler la foi du charbonnier, qui, à sa manière, est, elle aussi, empirique. Par ailleurs, pendant une bonne partie de la série, John Locke restera verrouillée à sa chaise.

Les personnages clés du Western Lost
Outre ces deux personnages clés, nous retrouvons d’autres figures du western comme le faux juste : Anna Lucia, tachée par un péché secret (on découvrira, dans un des nombreux flash-back, qu’elle s’est laissée acheter pour permettre la fuite de Kate, Sawyer et Sayid lors d’un transfert de prisonniers) tout comme Claire, reprise de justice, Jack et ses échecs sur la table d’opération qui, laissent entendre, qu’il est un demi-raté, Sayiïd et la torture, John et son passé, avant cet accident qui le condamne au fauteuil roulant. Dans son cas, on peut même s’interroger sur cet accident. Ne serait-il pas la punition d’une faute inconnue ? La catastrophe aérienne en serait-elle la rédemption ; tout comme dans certains westerns, où l’on voit l’assassin, à son arrivée dans une ville située à la frontière, basculer subitement dans le rôle de justicier...

Sawyer, le faux méchant ou la brute au cœur tendre, à sa manière reprend l’une des figures mythiques du western. Tout comme dans un western, plus on avance dans la série, plus il tente de montrer cette tendresse dissimulée.
Les « Autres » que l’on pourrait appeler les indiens jouent eux-aussi leur partition, ils habitent à l’intérieur de l’île et ils y sont arrivés bien avant les naufragés de l’avion, ont leur secret, sont méchants ou prêts à collaborer avec les nouveaux arrivants qui endossent tout un coup l’uniforme des colons.
Jack et Sawyer ; les deux éternels rivaux qui (se) combattent pour les deux mêmes femmes, nous donnent à revoir un autre couple classique des westerns de John Ford : « L’homme tranquille » étant le parangon de ce couple masculin où l’homme fort est joué par John Wayne.
Dès le premier épisode, la série met en place une image de cette micro-société, elle-même reflet de la société américaine et de ses mythologies. En ce sens nous sommes en présence d’une métonymie, d’une parabole ou encore d’une allégorie du monde américain d’aujourd’hui Dans Lost, la faute initiale, le péché originel soutend l’histoire et donne à la religion étrangement absente sur l’île une place souterraine essentielle.

Le shérif mort en service commandé qui accompagne l’assassin repentie (Kate), la jolie idiote (la sœur asthmatique), le bon gros bougre (Ethan), la fille-mère, la bonne mamma noire (Rose) qui n’oublie pas d’invoquer la bonté divine ; Sayid, la brute soldatesque repentie qui pourtant retombe dans ses travers : la torture, toujours pour la bonne cause. Sayid, lui aussi finira, par payer le prix fort de la rédemption de ses péchés et il se sacrifiera pour sauver « les siens » lors de l’explosion de la bombe dans le sous-marin…

Au cours d’un flash-back, le récit évoquera même la mauvaise mère noire, décédée d’une maladie du sang, châtiée pour avoir coupé les liens entre son fils et son premier mari, Michael, père de Walt (le petit garçon noir). Comme dans de nombreux Western ; ici aussi ; les femmes n’ont pas un rôle très positif.

Avec Rousseau, une femme isolée depuis 16 ans restée dans l’île, enfermée dans son monde technologique et autiste, nous avons là un autre personnage du western : le trappeur qui survit isolé dans un monde hostile où seul, ses connaissances lui permettent d’échapper aux pièges de son environnement.

La catastrophe fondatrice
Cette société est née d’une catastrophe comme la société américaine est née de l’exil volontaire des Pilgrims Fathers persécutés en Angleterre arrivés par erreur à Cap Code (région de Boston) en lieu et place de la Virginie. Dans Lost, comme dans la mythologie américaine, la catastrophe est fondamentale et fondatrice : le naufrage des premiers arrivants, l’attaque des habitants de l’intérieur, cette nature tout aussi inconnue que celle du western et tout aussi inhospitalière malgré ; de prime abord ; une hospitalité apparente. Comme les premiers arrivants en Amérique, les rescapées du crash sont obligés de repartir de zéro, « from scratch » ainsi que les colons de l’Amérique l’ont cru et espéré. Cependant, une différence notoire existe entre les passagers du vol 815 et les premiers colons. Ces derniers n’ont jamais osé espérer ou croire qu’ils auraient, un jour, cette chance. Ils arrivent donc sur l’île sans aucune préparation excepté Locke qui s’est entraîné pour un périple dans le désert australien, périple qu’il n’a pu pas effectuer en raison de son handicap.

Comme les nouveaux américains, les naufragés se croient seul sur cette terre. En cela, ils commettent la même bévue que les premiers colons et découvrent, à leurs dépens, que non seulement, ils sont loin d’être seul, mais, que de plus, leurs prédécesseurs vont âprement défendre leur territoire. Comportement qui leur interdit de disposer librement de l’espace et réduit encore un peu plus leur liberté de mouvements.

Pareillement aux États-Unis qui sont, aux origines, un morceau d’Europe entièrement transposés en Amérique du Nord, le monde de Lost est un morceau de civilisation occidentale transposée sur une terra incognita. De fait, les naufragés de Lost ignorent totalement où ils sont : leur avion a été dérouté et après près le crash, aucun instrument de navigation n’est disponible. Les coordonnées de cette île mystérieuse deviennent donc impossible à déterminer. L’île de Lost est, elle aussi, une terre incognita pareillement à cette terre découverte à de nombreuses reprises notamment par Christophe Colomb. Cependant, contrairement aux Amériques, il est impossible de re-découvrir l’île du Pays de Lost même s’il est possible d’’y revenir en reconstituant les conditions du crash. Quand je parle de l’impossibilité de découvrir l’île de Lost, je veux dire qu’il est illusoire de prétendre calculer ses coordonnées géographiques. Elles appartiennent à un autre monde, à un autre temps.

Tout ces éléments, associées aux flash-back ; complotent pour faire naître dans l’esprit du spectateur une théorie du complot autre élément mythique de l’histoire des États-Unis qui s’appuie sur leur passé religieux et un certain nombre de points de leur histoire non résolu tout comme dans Lost.

Jack endosse son rôle de berger, de guide et de figure de leader savant et courageux, une figure à la Benjamin Franklin qui prend naturellement le pouvoir pour diriger un peuple immature et non un peuple premier, à la recherche d’un leader. Au cours du récit, il perdra une partie de son leadership pour le reconquérir vers la fin. Il incarne aussi le rôle du justicier.

Comme nous le signalions au début de cet article, les naufragés de Lost, tout comme les immigrants du May Flower, ont tous un reproche à se faire, une culpabilité secrète, comme le montrent de manière récurrente les scènes de flash-back, virgules qui rythment le récit tout au long de la série. Jack adolescent a laissé son père partir et se sent coupable de la fin tragique de ce père décédé complètement bourré en Australie ; à moins que sa mère l’ai notamment rendu responsable de ce départ et de ses conséquences. Quand à la jeune mère qui met au monde le seul enfant né sur l’ile, elle voulait abandonner son bébé même si un voyant, guidé par « Dieu » a tout fait pour l’en dissuader et pourrait même avoir provoqué le crash afin d’empêcher cet abandon…

On retrouve dans l’épisode n°5, de nombreuses allusions au peuple élu de Dieu tel que les Peligrins Father se l’imaginaient être. Ces allusions sont notamment mises en image lors de la recherche de Jacob. Recherche qui prend l’allure d’une quête où l’on voit les survivants, guidés par John Locke, partir le long de la côte pour arriver au pied d’un colosse égyptien. Cette marche le long de la côte avec, à la droite la mer et à gauche cette île qui, si elle n’avait pas été habitée, aurait pu être la Terre Promise. Cette marche vers ce colosse de style égyptien évoque, dans certains plans, l’iconographie de Moïse guidant le peuple juif. Terre Promise, Paradis Perdu ou encore Atlantide, les trois images sont possibles ? Cependant, une Atlantide encore habitée est-elle toujours une Atlantide ? Certes, la majeure partie des films hollywoodiens la présentent ainsi. Quand à Jacob, il est tout aussi impénétrable que le Dieu de l’Ancien Testament. Tous ces éléments font de Lost, une image du mythe de la naissance des États-Unis, un miroir de la mythologie américaine.

Les personnage bibliques de Lost
Benjamin Linus serait-il le diable manipulateur tirant les ficelles de ce monde y compris les ficelles du Deus Ex-Machina de cette île mystérieuse : Jacob ? La part du diable résidant en chacun de nous, dans Lost, comme dans l’Ancien Testament, le Deux Ex-Machina est impossible à trouver, voire à rencontrer et l’on ne saura jamais lequel des trois personnages : Linus, Jacob ou Widmore est à l’origine de ce monde finalement diabolique. De cette trinité, il saura impossible de déterminer les paternités et les filiations respectives. Sans oublier Christian Sheppard, dont le nom se traduit mot à mot par : « berger chrétien » et dont le cadavre disparaît sans jamais réapparaître tel le Christ. Cadavre nécessaire puisqu’il faudra marcher dans ses pas pour retrouver l’île mystérieuse. Marcher dans ses pas au sens propre, car le cadavre de John Locke sera chaussé d’une paire de chaussures ayant appartenu au père de Jack afin de recomposer les conditions du crash.

Hasard ? Difficile de le croire, dans une série où chacun des noms, des événements est pesé, Linus est aussi, à une lettre près, le nom d’un système d’exploitation informatique gratuit. De plus, une certaine ressemblance existe entre l’inventeur de Linux et l’acteur qui joue le rôle de Linus.

Lost est une société paranoïaque où tout est explicable (et ne suis-je pas entrain de tomber dans ce piège en évoquant Linux ?), où chacun est totalement déterminé par son passé et n’a donc aucune liberté individuelle quitte à ce que ce passé soit déterminé par le futur de cette personne. Dans ce monde, la confiance est impossible, la seule issue est une méfiance sans limite. Lost occupée par une civilisation déchue dont la technologie de gardiennage est la seule survivance de cette société technologique qui soit encore en opérationnel. Finalement, un monde où la fraternité et la paix ne se rencontrent que dans la mort car là, l’homme cesse d’expier pour des fautes qu’il n’a pas comprises ou qu’il n’a pas commises.

© Hervé Bernard 2009-2010

Lostpédia