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- McLuhan et la poupée russe

,  par Hervé BERNARD dit RVB

1 « Le message est le médium »
Avec cette sentence, c’est à dessein que je parle de sentence, compte-tenu de la tonalité abrupte de cette phrase devenue un slogan, McLuhan nie, condamne toute la complexité de ce monde tandis que Shannon —l’autre théoricien des médias— se contentera de la nier.

Donc, méfions-nous de cette sentence qui, dans une lecture hâtive, voir sommaire, pourrait nous laisser croire qu’au-delà du support, le message ne dit, ne contient rien. J’ai, personnellement, longtemps papillonné dans les prairies de cette interprétation là. Ce qui m’amenait à la condamner.

2 La poupée
En fait, selon Kittler [1], qui s’appuie sur des propos de McLuhan, par ce message, ce dernier affirme que le contenu d’un médium est toujours un autre médium. Derrière un médium, se cache toujours un autre médium. Selon McLuhan, derrière un message, se cache toujours un roman, derrière le roman se cache un tapuscrit qui lui-même “dissimulerait” un manuscrit...

Donc pour l’un comme pour l’autre, les médiums sont de véritables poupées russes. Ainsi, en poussant cette interprétation dans ses retranchements, la parole énoncée verbalement serait alors le médium originel et originale. Cette sentence a un écho tout particulier dans une culture, la nôtre, qui a fait des adaptations et du versionning un mantra. Par cette sentence, McLuhan s’interrogerait-il sur une définition de l’originalité ? L’interprétation de cette citation par les tenants de la médiologie serait-elle réductrice ? Serait-elle le fruit d’une concaténation du médium et du média ?

L’industrie du cinéma avec ses nombreuses adaptations de romans, pièces de théâtre et mythologies est là pour nous le rappeler. Nous sommes dans l’ère des versions bis, quarte... Pas besoin d’atteindre ou d’attendre le Paradis. L’éternel recommencement est là parmi nous. Rappel d’autant plus vif si l’on lui adjoint, l’industrie dite culturelle et la non moins fameuse industrie des loisirs —néologismes oxymores— avec leurs séries télévisées, leurs émissions comme Le Loft et tutti-quanti qui donnent lieu à de nombreuses déclinaisons, remakes et adaptations qui firent la gloire de société comme Endémol.

Filer, à partir du propos de Kittler, la métaphore de la poupée russe, est-ce pousser le bouchon un peu loin ? Surtout à considérer le tapuscrit, ce manuscrit de la fin du XXe et du début du XXIe, comme un médium [2] compte-tenu de sa diffusion restreinte. Pourtant, on ne peut pas lui donner tord, un tapuscrit, malgré ou plutôt grâce à cette circulation restreinte reste malgré tout un médium.

Est-ce à dire que la parole serait le médium ultime, la version primaire ? Cependant, comme la création ex-nihilo est un mythe et plus particulièrement un mythe romantique et ces derniers, ont prouvé à de nombreuses reprises l’inexistence de ces mythes qui justifient l’iniquité du monde industriel et la nécessité de vivre dans la douleur, la souffrance. Pourrions-nous ou devrions-nous remonter, systématiquement, l’arborescence des inspirations jusqu’à l’Adam et Ève de chacune des créations, jusqu’à la création originelle ou plutôt au médium originelle ?

3 Le grain de sel
Je ne peux m’empêcher de penser alors à cette citation de Boris Vian dont, je n’ai pu ni retrouver la source, ni la trace dans son œuvre et qui est donc soit apocryphe soit le fruit de mon imagination ou pire encore un fantasme auditif. Celui-ci aurait dit quelque chose comme : « L’essentiel n’est pas d’être original mais d’apporter son grain de sel. » Ce qui n’est pas faux et décharge de toute relation à l’obstacle de l’originalité nécessaire.

De tous temps les hommes ont écrit des histoires d’amour, des histoires policières, ou encore des histoires de maladie et de mort. Puisque derrière un médium se cache un autre medium, l’histoire de la culture serait-elle l’histoire d’un gigantesque versionning ?

Faut-il attendre qu’à la lecture, l’écoute ou la vision d’une création que les spectateurs s’exclament en un « chapeau bas unanime » pour commencer à créer ? Dans ce cas, comme le personnage de La Peste de Camus nous ne nous mettrons jamais à l’ouvrage.