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Regard sur l’image

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- Nos ambivalences à l’égard de l’image (1e partie)sont-elles l’image ou le reflet de l’étymologie ?

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Au premier coup d’œil, cette question paraît hasardeuse mais, en y regardant de plus prêt, on peut se demander si, là aussi, le poids de l’héritage n’est pas sous-estimé.

Lumière

En grec :
▪ Augè signifie (au pluriel) « rayons » (du soleil), mais aussi « yeux »,
▪ Phôs désigne les yeux aussi bien que la lumière,
▪ Derkesthaï le fait de rayonner comme de regarder,
En latin :
▪ Lumina désigne les yeux ou la lumière.
▪ Luminaria « lumière », pluriel neutre de luminare « astre », « qui produit de la lumière » devenu ultérieurement féminin.

Les deux piliers de notre civilisation ont mélangé lumière émise par l’œil, théorie platonicienne et la lumière reçue par l’œil définie par Ibn’al-Haytham (dit Alhazen) [1]

Cette ambivalence entre regard jeté et lumière reçue perdure aujourd’hui dans la langue française. Le regard continue d’être un rayonnement émis en direction des choses ou des personnes regardées et qui les éclaire. En fait, si la lumière est bien un rayonnement émis par l’œil, les Grecs savent déjà :
- que ce rayonnement n’est possible qu’en présence de la lumière du jour ;
- que ces deux rayonnements (celui émis par l’œil et celui de la lumière) ont une communauté de nature. « De mon côté m’en tenant aux principes de Platon, je dis qu’un souffle brillant jaillissant des yeux se mêle à la lumière des corps et se combine avec elle, de façon que des deux corps il se forme un seul absolument homogène » (Quaest. conv. I, 8,4 , 626c2ss. ; tr. Fuhrmann modifiée).

C’est cette ambivalence qui nous amène à jeter un œil, un coup d’œil, un regard sur quelque chose. La sorcière jette un mauvais sort de son regard noir. Tout comme le comportement d’une personne nous éclaire sur sa personnalité.

Certes, c’est une image mais, on parle toujours d’un regard rayonnant de lumière, des yeux lumineux et ces deux dernières images s’appuient sur les capacités de réflexion des yeux et sur la brillance de la pupille… Toutes ces images nous éclairent sur cette confusion ancestrale entre lumière émise par l’œil et lumière émise par une source lumineuse.

Elles nous interrogent aussi sur la question de l’existence. Un objets et ou un être continue-t-il à exister s’il n’est pas regardé ? Si le regard est la lumière qui éclaire le monde, comment le monde peut-il exister sans être regardé et plus particulièrement, comment peut-il exister sans être regardé par Dieu ? Lumière émise par l’œil ou lumière reçue par l’œil, cette différence nous amène à un monde inexistant sans notre regard ou existant seulement lorsque nous le regardons. Qu’en est-il si Dieu ne le regarde pas, le détruit-il ?

La fermeture de la lumière

Pupille
En grec :
▪ koré (ou kouré) signifie pupille et poupée.
Déjà dans l’Égypte ancienne, la pupille est appelée « la jeune fille qui est dans l’œil ».
Si l’on considère que c’est la pupille qui voit (pupilla peut signifier « œil »), c’est parce nous nous reflétons en petit dans l’œil de notre interlocuteur que celle-ci est aussi un miroir. « Les yeux sont un miroir si parfait que cette pupille toute petite rend l’image entière d’un homme » (Pline, Hist. nat. : XI, ch. 53).

En latin :
Pupille, pupilla signifie à la fois « petite fille » ou « petite poupée » (on trouve aussi pupus, « petit garçon », au même titre que « pupille »

En irlandais :
Le même mot : suil désigne l’œil et le soleil.

Dans plusieurs autres langues :
Cette même “confusion” entre la pupille de l’œil et la poupée se retrouve en hébreu, en sanscrit. En espagnol, ce mélange est encore plus apparent avec l’expression « niñas de los ojos » qui désigne explicitement la pupille.

La pupille miroir de l’âme. Dans le français contemporain, nous avons repris ces doubles sens. Les yeux, sont comme des miroirs (en argot : les « mirettes »). —À noter qu’une mirette en ancien français est un petit miroir— « S’en prendre plein les mirettes » (plein la vue) ; « T’as de jolies mirettes, tu sais. »

Chacun d’entre nous est donc alternativement le miroir et la poupée. Les yeux sont aussi le miroir de l’âme, miroir de l’intérieur et miroir de l’extérieur, ce miroir qui a donc deux faces ressemble à un miroir sans tain.

En France, suite à la Première Guerre Mondiale, on invente le pupille de la nation cet enfant qui est dans l’œil de la Nation pour ne pas dire au cœur de la Nation. Le pays tient à lui comme à la prunelle de ses yeux au point de lui assurer, gîte, couvert et éducation.

Mirette
Employé au pluriel désigne l’œil. « Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice » (Baudel., Poèmes prose, 1867, p.26). « Eh bien ! Je sais qu’elles sont un peu de travers, mes mirettes, mais de là à dire que je louche » (Aragon, Beaux quart., 1936, p.367). « Le petit homme rose put ouvrir plus grand encore ses larges mirettes quand parut Georges Cadoudal » (La Varende, Cadoudal, 1952, p.64).V. fiole ex. de Céline, Mort à crédit, 1936, p.255.

En poterie, la mirette est un outil de modelage pour retirer les excédents de matière tandis que pour le maçon, il sert à rejointoyer les pierres. Enfin, les maçons l’emploient pour ajuster et vérifier le niveau du pavage. Dans ces trois cas, la mirette est un outil lié à la précision. Cependant, chez le maçon et le paveur, il s’agit d’une longue corde tendue d’un point à l’autre, en fait, elle est l’ancêtre du niveau à bulle.


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- Nos ambivalences à l’égard de l’image (3e partie)