Il n’est d’image qu’incarnée
Image et corps
L’image est intiment liée à notre corps. La doxa en matière de perception et, plus particulièrement pour la vision est de nous laisser croire qu’elle n’est point liée intimement à notre corporéité. Pourtant, la perception est fabriquée par notre corps et c’est là la paradoxe de l’image : c’est parce qu’elle est profondément liée à notre corps que l’on ne saura jamais ce que l’autre voit, sent ou entend.
Ainsi, si l’on croit toujours que la couleur de la peau ne change pas malgré le changement de lumière c’est parce que le couple œil-cerveau corrige automatiquement la dominante de couleur d’une scène éclairée à la bougie. Certes, il existe une exception à cette correction automatique de la balance des blancs, c’est le tunnel souterrain éclairé au sodium bien nommée lumière artificielle.
De tous les sens, la vision est le sens le plus assujetti à notre corps comme nous le démontre la vision selon la perspective. En effet, celle-ci dépend de notre hauteur, des saccades de notre regard, de la largeur de notre champ visuel, de la vision binoculaire qui crée l’impression de profondeur., d’éventuel défaut(s) physiologique(s). Cette dépendance est tellement automatique que nous en oublions sa réalité et son efficacité. Ainsi, statistiquement, nous effectuons, au minimum, trois saccades à la seconde. Entre-pendant chacune de ces saccades, notre regard se déplace à trois endroits différents de la scène observée pendant la dite seconde. Ces trois déplacements impliquent que nos deux yeux réalisent chacun simultanément trois mises au point, trois balances des blancs (correction de la dominante de l’éclairage qui nous donne l’illusion que les teintes de la chair ne changent pas) et toutes les opérations de reconnaissance de formes nécessaire sans que nous en prenions conscience et même en nous laissant croire que ces opérations n’existent même pas.
L’image que nous voyons est tel que notre corps nous permet de la voir. Depuis un même point, nous ne voyons pas la même chose si nous sommes allongés (sur le dos, sur le ventre), à genoux, accroupis ou debout,... Et, la hauteur n’est pas le seul enjeu. En effet, ces positions influent sur l’amplitude de notre champ visuel et sur l’efficacité de la vision binoculaire. Ainsi, la perception du relief peut-être perturbée quand nous sommes couchés sur le côté, la tête à-même le sol. Outre le rétrécissement du champ visuel latéral de l’œil situé sur le côté appuyé sur le sol, la différence de pression oculaire éventuellement générée par cet appui peut, elle aussi, produire des perturbations visuelles. Comme le montre ces paramètres, il n’est d’image qu’incarnée. Cette incarnation est d’ailleurs une des problématiques qui ne sera pas simple à résoudre lors de la mise au point de robots autonomes.
Une des différences entre l’image occidentale et l’image asiatique réside dans une construction sur la permanence de l’instant pour la première tandis que la seconde est conçue sur l’impermanence. La première donne la priorité au cerveau qui nous raconte cette histoire, la seconde est construite sur notre ressenti physiologique. La première est l’image occidentale qui donna lieu à l’invention de la perspective, de la photographie et du cinéma ; la seconde est l’image chino-japonaise construite sur l’impermanence de la sensation. Comment l’Asie a-t-elle pu, à partir de cette impermanence, penser une image qui, quoi qu’on en dise, est un objet permanent ?
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Regard sur l’image,
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