Faire de la photographie une figuration, tout le monde l’accepte, faire de la photographie une narration, peu s’accorde à le reconnaître car pour la majorité d’entre nous, la narration est liée au verbe et à cette condition, certains veulent bien reconnaître le qualificatif de narration au cinéma. Cependant, avouer, qu’une seule photographie, qu’une photographie isolée est une narration est un aveu quasi impossible pour la plupart d’entre nous y compris de nombreux photographes. Quand à reconnaître la part de fiction de la photographie malgré sa part indiciel, alors, cela tient de la mission impossible y compris pour le législateur comme le montre le débat sur la loi sur la photo retouchée.
Pourtant, si l’on retourne aux origines ou aux sources pour reprendre un terme journalistique. Ces trois qualificatifs correspondent bien à une définition de la photographie.
La narration est une relation détaillée, orale ou écrite, d’un fait, d’un événement. Si l’on écarte quelques instants les termes oral ou écrit cette définition n’impliquerait-elle pas la photo et le cinéma dans le champ de la narration ? Surtout si l’on sait que l’étymologie latine de narration la définit comme l’action de raconter un récit sans précision des moyens. Ne parle-t-on pas d’un récit en image ?
Ainsi, la fiction est un produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité. C’est une construction imaginaire consciente ou inconsciente se constituant en vue de masquer, de transformer ou d’enjoliver le réel ou encore d’en créer un. Enjoliver le réel la photographie ? Vous plaisantez et pourtant que demande t-on d’autre au portrait ?
Dans l’étymologie du mot fiction, il est dit, en 1690, qu’une fiction est un « un fait qui résulte d’une convention ». Là encore, cette définition convient parfaitement à la photographie. En effet, c’est un fait ; la photographie résulte d’une convention : celle des lois de l’optique. Pour être plus précis, il faudrait indiquer que la photographie repose sur deux conventions, car on oublie toujours la convention qui préside à croire qu’un espace à deux dimensions est l’équivalent d’un espace à trois dimensions.
Toutefois si vous doutez encore de la photographie comme narration, je vous renvoie au fonctionnement de l’œil et à l’eye tracking. Celui-ci démontre d’une part que l’œil parcourt l’image et d’autre part que chacun d’entre nous a un regard différent sur cette même image. Ce parcours n’est-il pas une manière de construire un récit ? Peut-on dire que le spectateur d’une image fixe est le monteur au sens cinématographique de cette image compte tenu du mouvement continuel de l’œil qui parcourt cette image. Cette vidéo de l’enregistrement d’un dessin réalisé par une caméra d’eye tracking en est une démonstration à l’envers.
Addendum
Les images fixes peuvent raconter des histoires. La plupart du temps, les images fixes racontent de petites histoires. Et il arrive parfois que les histoires intéressantes soient de petites histoires. Les petites histoires se déroulent sur une période très courte. Cependant, la pensée et les émotions peuvent être impliquées quand on regarde une image fixe, et les petites histoires peuvent se développer jusqu’à devenir de grandes histoires. Tout ça dépend, bien sûr, du spectateur. Il est quasiment impossible de ne pas voir une sorte d’histoire émerger d’une image fixe. Et ça, je trouve que c’est un phénomène magnifique.
David Lynch