Le jardin, la clôture et l’ouverture sont trois inséparables dans l’invention du jardin-paysage.
Certes, à l’origine, il est clos, voir les origines du jardin dans l’ancienne Mésopotamie. En Europe, on peut cependant imaginer l’invention du jardin comme une augmentation progressive de la distance entre le fossé et les remparts.
Le jardin, à sa manière repousse le fossé, cet héritier des châteaux forts, cette clôture devenu transparente, d’autant plus transparente qu’elle est située au loin. Contrairement au fossé du château, elle est, par sa transparente-invisibilité, un précurseur du barbelé. Tout comme ce dernier, le fossé laisse voir au loin, tout comme lui, quand sa largeur et sa profondeur sont suffisantes, il interdit l’accès. Et, tout comme lui, son franchissement peut s’avérer mortel.
Appelé saut-de-loup [1] ou haha [2] dans le monde du jardin, c’est plus poétique, le fossé, tout comme le barbelé à venir est simultanément une ouverture pour voir au loin et surveiller et surtout interdire. Le fossé permet de participer à la chasse à cour située dans le lointain. Regarder sans se mouiller, se délecter du spectacle sans se salir, sans excessivement s’impliquer. Au-delà de la protection, il est un garant de la mesure.
Le remplacement du mur par le fossé serait dû à Charles Bridgeman [3] —le si bien nommé homme pont— l’un des pionniers du jardin paysager à qui l’on devrait la destruction des enceintes murées et leur remplacement par les fossés. Il aurait ainsi libéré “la régularité ordinaire” “pour que celui-ci s’adapte au site agreste du dehors” [4]. Contrairement aux barbelés à venir, le fossé devient dans l’histoire du jardin, un symbole d’ouverture.
C’est cette étape qui va permettre, avec William Kent, de franchir la clôture pour considérer, comprendre (prendre avec, au sens étymologique) que toute la nature est jardin. Son origine remonterait « à la fin du XVIIe lorsque les concepteurs de jardins s’inspirèrent des terrassements et des plantations des fortifications militaires » [5] Décidemment, le génie militaire tient un grand rôle dans l’invention du jardin comme le montre les origines de la perspective.
Toujours selon George Carter, cette idée serait cependant déjà présente en 1709 dans Théorie et pratique du jardinage, de Dézallier d’Argenville [6]
L’autre ancêtre de ce fossé, c’est bien entendu le sillon de charrue qui trace les limites d’une nouvelle ville dans la Rome Antique mais aussi dans de nombreuses autres cultures. Sillon qui renvoi donc à la clôture, au sillon du semis même si celui-là n’était, probablement, pas tracé par une charrue à l’époque. Fossé qui est aussi celui du drainage. Tout cela forme de bonnes raisons de remplacer la clôture par le fossé. Certes, dans ce parc jardin, aucune allusion ne devait être faite à la terre productrice, contrairement au pairidaëza perse. Pourtant quelques allusions à ces activités restent acceptables ainsi, on pouvait voir quelques petits enclos de moutons, quelques petites meules de foins ou encore des tas de bois essaimés. Tout cela fleure bon Marie-Antoinette... Selon George Carter, des paysagistes comme Capability Brown ou Humphrey Repton récusèrent, ultérieurement, cette pratique qu’ils trouvaient discordante. Peut-on imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que les tas de bois abandonnés encore aujourd’hui après les abattages, seraient des reliquats de cette réticence à la rentabilité, à la productivité. Il est intriguant de constater que ce refus des aspects lucratifs de l’activité agricole (dans un sens large) a pris naissance dans l’un des pays inventeurs de l’agriculture industrielle.
Il est d’autres ouvertures qui sont nécessaires à l’épanouissement du jardin. Celle-là, n’ont aucun lien avec le barbelé bien qu’elles soient une ouverture dans une autre forme de clôture. Ce sont les ouvertures de la résidence. Situées au rez-de-chaussée ou à l’étage, elles donnent à contempler la vue étagée du paysage. Chose impossible pour les combles. Les ouvertures situées dans la pente ne donnant accès qu’au ciel à moins que celles-ci ne soient des chiens-assis.
Peut-on considérer que la baie vitrée de plain pieds est une héritière de ce fossé ? Elle nous permet de “s’y croire” comme disent les enfants, de s’imaginer dans la nature, sans en connaître les inconvénients, les risques : la saleté, l’humidité, la chaleur, les piqures d’insectes ou encore les morsures... Voir sans accéder mais aussi sans être dérangé par l’extérieur. Comme le fossé, la baie vitrée fabrique une tension entre le dedans et le dehors, celle de la lisière. « Il y a la lisière qui nous fait passer de la demeure au jardin et du jardin à la demeure, tout aussi complexe que le mur de clôture, car elle questionne de la même manière les notions de dedans et de dehors, remettant constamment en jeu la perception que nous avons d’elles. » [7]
© Hervé BERNARD 2021 pour le texte et les images.
– Regard sur l’image, un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
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