« Il ne s’est pas encore levé de peintre paysagiste pour donner au paysage une signification propre, et introduire dans le paysage des allégories et des idées belles et claires. Qui n’aperçoit des esprits sur les nuages au coucher du soleil ? Qui n’a vu flotter en son âme les idées les plus claires ? L’oeuvre d’art ne surgit-elle pas au moment même où je perçois clairement une connexion avec l’univers ? Ne puis-je fixer le cours de la lune comme une silhouette fugitive qui éveillerait en moi quelque pensée, et tout ceci , ne donne-t-il pas également une oeuvre d’art ? L’artiste animé de ces sentiments, l’artiste mis en éveil par la nature que nous ne voyons plus à l’état pur qu’en nous-mêmes, dans l’amour qui est le nôtre et dans le Ciel, ne saisira-t-il pas l’objet propre à produire cette sensation ? Comment cet objet lui fera-t-il défaut ? Un tel sentiment précédera nécessairement l’objet. N’est-il donc pas absurde d’imposer un thème ? Comment pouvons-nous seulement espérer de récréer l’art ancien ?
Les grecs ont fait culminer la beauté des formes et des figures au moment même où périclitaient leurs dieux. Les peintres romains donnèrent à la représentation historique sa plus grande expansion tandis que la religion catholique amorçait son déclin. Chez nous aussi quelque chose meurt à son tour. Nous sommes tous sur la frange de toutes les religions issues du catholicisme. Les abstractions disparaissent, tout se fait plus aérien et lus léger, tout converge dans le paysage. On cherche discerner quelque chose dans ce flou, sans savoir comment s’y prendre.
Ne pourrait-on atteindre une apogée dans cet art nouveau, die Landshafterei, ’’l’art du paysage’’, pour le nommer ainsi ? Un apogée plus beau, peut-être, que les précédents ? Je veux représenter ma vie dans un cycle artistique. Quand disparaît le soleil et que la lune revêt d’or les nuages, je fixerai le cours des esprits. Si nous ne vivons la belle période de cet art, nous consacrerons notre vie à la susciter réellement et en vérité. Aucune pensée médiocre n’élira domicile en notre âme. Quiconque s’attachera avec ferveur à la beauté et au bien, atteindra toujours une cime de beauté. Il nous faut redevenir enfants si nous voulons rejoindre le Bien suprême. »
Philipp Otto Runge, lettre à Johann Daniel Runge, 1802