Texte publié par Image et Nature, mai 2012
Une image existe uniquement si celle-ci a du sens. Le sens et l’image sont inséparables. On ne donne pas du sens à une image. Créer une image, c’est créer du sens. Seules les images sensées appartiennent à l’imagier [1]. Dans le cas contraire, une photographie de catalogue de vente par correspondance, nous sommes en présence de quelque chose qui n’appartient pas à l’imagier mais à l’imagerie. Pour nous, la question est d’amplifier, de moduler, d’incliner ce sens afin de le rendre plus éloquent et non de le donner, s’il faut le donner, ce n’est pas une image...
Dans le monde photographique, nous disposons d’outils : le cadre, le contraste, la saturation, la teinte, la luminance, le contraste... Ces outils sont communs à la peinture, au dessin... Cependant, en photographie et, depuis l’avènement du numérique, leur puissance et leur souplesse se sont renforcées. Ces outils vont, chacun à leur manière, révéler, atténuer des zones de l’image avec ou sans l’aide des masques.
Le contraste accentue les écarts entre les zones les plus lumineuses d’une image et les zones les plus denses. Outre ou, plutôt, grâce à l’accentuation de cet écart, cette fonction atténue, élimine ou révèle des détails dans les hautes ou les basses lumières. ‒C’est là que débute l’apparaissant-disparaissant2 de la photographie, ce qui fait qu’elle est toujours un photomontage‒ Les apparitions et disparitions issues, auparavant du cadrage, et de ces choix confirment que la photographie est nécessairement un photomontage. Sans ce montage, il n’y a pas de graphie (écriture) et donc pas de photographie. Accentuer le contraste de cette image réalisée dans les Painted Deserts (Arizona) rend ce corbeau plus massif, plus charognard. Il a plus de poids et ses griffes sont plus prégnantes. Ces changements de contraste transforment le ciel en un miroir de la dynamique du sol, miroir construit par les lignes de nuages. Simultanément, ces nuages nous parlent de cette pluie tend attendue et qui semble, une fois de plus, passer au-dessus de nos têtes pour continuer son chemin. Dans un second temps, par l’association de la fonction teinte et de la vibrance, le rouge du sol devient plus flamboyant. Ces deux fonctions, dans une mesure moindre, contribuent elles aussi à la création de cet apparaissant-disparaissant.
La force de cette image réside dans ce seul être vivant « noir corbeau » face à cette étendue désertique pleine de couleurs et pourtant synonyme de la mort. Ici, les valeurs sont inversées, le noir du deuil devient symbole de vie et la couleur symbole de vie devient la marque de la mort. Au-delà de ce travail de tirage de chacune des images, il y a le travail d’assemblage des photographies pour créer un ensemble cohérent constitué de photographies individuelles et/ou de diptyques ou triptyques.
Hervé Bernard
- Petite histoire de la photographie sous le prisme du photomontage et de la retouche