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- Art mécanique et pensée, les apparences sont trompeusesLe geste créateur, une invention du XIXe siècle ?

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Art mécanique et pensée, les apparences sont trompeuses

Le geste, l’autre question de l’art mécanique ?
Avant l’apparition de la photographie, des peintres tel Nicolas Poussin réalisaient des dessins à l’aspect enlevé comme le montre l’esquisse du Massacre des Innocents. Cependant, ces dessins sont des esquisses et leur transposition en peinture provoquera la disparition du geste.

Le chemin de la perspective linéaire a été de faire oublier ce geste et simultanément la machine, le dispositif destiné à concrétiser cette perspective : la chambre noire. Cette disparition du geste trouve sa conclusion au xixe siècle. À cette époque, pour être présentée devant l’Académie des Beaux-Arts, une peinture devait être parfaitement achevée, lissée et dénuée de toute imperfection : relief, trace des poils du pinceau sur la toile,… . Le glacis a été l’un des fondements de cette stratégie, l’autre a été le fondu produit par le flou.

Dans un second temps, parallèlement à l’apparition de la photographie, ce flou se voit adjoindre un nouveau rôle. « En 1808, Charles Nodier, reprenant une explication de l’Encyclopédie [1] du siècle précédant stipule, dans sa définition de ‘’flou’’ que l’« on se sert ordinairement pour fondre les couleurs, pour les noyer, les dépouiller de leur sécheresse, et amollir leurs nuances, d’une petite brosse de soies légères, qu’on passe délicatement sur ce que le pinceau a touché, et dont on effleure la toile avec tant de précaution, qu’il semble qu’on la caresse » [2] L’artiste, après avoir exécuté son œuvre, la balaye d’un pinceau doux pour supprimer toutes les traces trop visibles que le pinceau a pu laisser, unissant les tons dans un ensemble uni et bien fondu. » [3].

Plus loin, toujours dans ce même article de Pauline Martin : « Il (le flou) permet en quelque sorte à la peinture de s’approcher d’un idéal de représentation photographique, c’est-à-dire indépendant de la main humaine. Débarrassée de toute référence à l’action du peintre et au dispositif de représentation, l’œuvre peut donner l’illusion de montrer la réalité : “ L’écran représentatif est une fenêtre à travers laquelle l’homme spectateur contemple la scène représentée sur le tableau comme s’il voyait la scène “réelle” du monde. […] C’est l’invisibilité de la surface-support qui est la condition de possibilité de la visibilité du monde représenté [4].” »

En fait, l’affirmation de la photographie comme art mécanique renouvelle et crée les interrogations sur le geste en peinture. Tout comme cette question du geste est réactualisée avec l’impression 3D et avec l’application de l’intelligence artificielle aux arts visuels.

Ce sont des peintres comme Turner (1775-1851) —les premières images de Niépce sont faites en 1827, contemporain de la naissance de la photographie— qui donnent toute sa place aux gestes au-delà du dessin ou des aquarelles. Antérieurement des détails comme la robe de l’Infante des Ménines de Vélasquez présentent des caractéristiques similaires. Peu importe l’importance de ces détails, cette apparition du geste ne concerne qu’un détail et non l’ensemble de la peinture. Ce geste prendra toute sa place avec les Impressionnistes pourtant, dans l’histoire de l’art, la touche impressionniste sera réduite à l’outil de la décomposition de la lumière, ‘’décomposition de la lumière’’ qui ne peut exister sans ce geste. L’histoire retiendra une vision théorique et non active, au sens physique, de la peinture impressionniste. Pourtant, la touche du pinceau est autrement plus importante que la sortie de l’atelier. Les Pointillistes réaffirmeront cette importance.

Mouette zébrée
© Hervé Bernard 2021

Une œuvre faite de mains d’homme
L’excellence en peinture jusqu’au XIXe, repose sur un paradoxe. Cette œuvre est bien faite de mains d’homme mais cette dernière ne doit surtout pas apparaître dans l’œuvre achevée. Cette disparition est tellement fondamentale qu’Ingres, affirmera que la touche du peintre fait voir le procédé, au lieu de l’objet représenté. La touche du peintre dénoncerait la main au lieu de montrer la pensée. En quelque sorte, elle distrairait le regard de l’essentiel. Cette affirmation est surprenante pour un contemporain des Impressionnistes pour qui cette touche est de la pensée. Car, sans cette touche la retranscription de la décomposition de la lumière n’existe pas.

Le geste créateur, au sens physique, serait-il une ‘’invention’’ consécutive à l’invention de la photographie qui permit ainsi à la peinture de se démarquer de sa nouvelle rivale ? L’art photographique étant réputé être un art mécanique, son apparition nécessitait pour la peinture de faire apparaître la main d’homme afin de nier sa mécanique elle aussi construite sur la camera obscura. La perception de la trace de la main devient alors une nécessité afin de confirmer que cette image est bien manuelle.

Le geste pour rendre la peinture plus photographique
Parallèlement à son apparition ; le geste dans la peinture se voit attribuer le rôle de révélateur de l’empressement du peintre, de l’instantanéité de son geste, de la hâte du peintre et parfois, on parlera aussi de furtivité du geste voire de fugacité. Toutes ces valeurs appartiennent au monde romantique et sont simultanément des qualificatifs de la photographie. Cette mise en valeur de la célérité apparaît aussi dans une société qui se prend à aimer la vitesse avec la naissance de l’automobile, du train et de l’avion, puis, plus tardivement, les prémisses de la production à la chaîne qui insistera, elle aussi, sur sa rapidité d’exécution en comparaison à la lenteur de la production artisanale. Ces valeurs nous semblent vouloir gommer la lenteur de la peinture au profit d’une instantanéité toute photographique. Comme une sorte de compensation de cette lenteur.

Van-Gogh et plus tard, Bacon, l’affirmeront, le geste devient alors un outil de recréation de la réalité comme outil de fabrication du réalisme en opposition au lisse de la photographie. « La marque vivante de la main de l’artiste » [5], comme outil, fondement du réalisme. Ainsi, Van-Gogh a une prédilection pour tout ce qui témoigne de l’œuvre entrain de se faire, ce qui donne à un résultat plus naturel qu’une image où la trace de son auteur a disparu. L’action painting apparaît comme l’apogée de cette glorification romantique du geste.

L’autre biais, l’autre difficulté de l’image, quel qu’elle soit, provient de notre cerveau beaucoup plus sensible et alerte face à un stimulus suggérant une présence humaine ou vivante à moindre échelle, peu importe sa forme. Dans la peinture, cette présence humaine se situe à deux niveaux :
 dans le sujet
 dans la technique avec ce que l’on appelle la ‘’patte’’.

Garde-fou
© Hervé Bernard 2021

Le geste photographique
Dans quelle mesure, la photographie, cet art mécanique, est porteur de cette trace humaine, de cette patte qui est figurée par le coup de pinceau. L’art mécanique n’aurait pas de marque ‘’vivante’’ de la main de l’artiste et pourtant le tirage photographique avec le ballet des mains du tireur sous la lumière de l’agrandisseur affirme le contraire. Sans oublier le ballet des mains du photographe qui travaille à main levée c’est-à-dire sans pied photographique ou autre support. Mais, ce ballet reste invisible et cette invisibilité est la marque de son succès. En cela, la photographie rejoint la perception platonicienne de la caverne, elle est une perception haptique. Le corps du photographe est l’opérateur de la perception photographique tout comme le corps du spectateur.

Cette question ‘’de la main d’homme’’ est d’autant plus cruciale que l’on assiste à la multiplication des systèmes d’enregistrement automatique de l’image sous toutes ses formes. Que signifie garder une trace physique de l’auteur pour la photographie imprimée en jet d’encre et l’image animée ? Au moment de la prise de vue, la hauteur du point de vue et de l’axe : plongé, contre-plongé ou axe parallèle à celui de la scène sont des traces du geste. Cependant, ces gestes, ces choix sont-ils compris comme trace humaine ? Les prises de position de photographes tel Henri Cartier-Bresson qui réduisait la photographie à appuyer sur le bouton, obscurcissent cette compréhension d’autant plus que depuis les origines de l’industrialisation de la photographie, les constructeurs de matériel depuis Kodak jusqu’au fabricant de reflex ont enfoncé le clou ou plutôt le bouton : faire une photographie consisterait à seulement déclencher, à appuyer sur un bouton comme pour allumer la lumière. Est-il possible d’envisager le geste de la main dessinant des masques locaux sur la tablette graphique de l’ordinateur pour un étalonnage des couleurs de l’image [6] comme un geste ? Auparavant, avec le développement à l’éponge [7]

Publicité pour le Kodak Instamatic publiée dans le journal de Spirou

Variation ou variante et ‘’art mécanique’’
Au-delà des questions de marché, comme le montre, le débat sur les tirages d’époque la photographie est une œuvre en perpétuel devenir car elle est perpétuellement réinterprétable au même titre que la partition musicale. Cependant, contrairement à la musique, pour la photographie, une décision arbitraire suffit à mettre fin à cette perpétuelle réinterprétation : c’est celle de l’auteur. Cette perpétuelle réinterprétation est encore plus criante avec le numérique. Dans ces deux cas, le seul moyen de mettre fin à cette perpétuité sera un cessez-le-feu, cessez-les-tirages proclamé par l’auteur. Tandis que pour la peinture, comme le montre ‘’L’Œuvre’’ de Émile Zola, pour des contraintes tout aussi matérielles que celles de la photographie mais néanmoins différentes, celle-ci ne peut-être perpétuellement réinterprétée à partir de la même matrice, fichier ou négatif ce qui est impossible à moins de recourir à des techniques semi-mécanique comme le pochoir. Au mieux ou au pire, elle donnera lieu à des versions différentes. Cette différence est essentielle et elle sépare à jamais ces deux modes de représentation. En effet, contrairement à la musique, la photographie n’a pas besoin de réinterprétation, une seule interprétation est suffisante à partir du moment où elle a obtenu le quitus de son auteur.

On retrouvera beaucoup plus tardivement, dans la seconde partie du xxè siècle, cette stratégie de disparition de la main d’homme avec les cinétiques ou les hyperréalistes. Cette nouvelle disparition est-elle la confirmation que ce ‘’main d’homme’’ est incontestable dans la peinture ? Il est donc devenu inutile de l’affirmer on peut même la nier. C’est le cas des hyperréalistes qui opteront pour un rendu à l’image de celui de la photographie. Hyperréaliste pour qui, avec, notamment, un peintre comme Peter Klasen, la machine sera l’un de leurs sujets favoris.

En guise de conclusion
La photo comme la science ou les Arts détiennent une part de vérité. Tout comme la science calcule avec une exactitude suffisante la trajectoire d’une fusée afin de déposer à plusieurs reprises des humains sur la lune. La photo quant à elle détient une part de réel suffisamment satisfaisante pour permettre la reconnaissance de son contenu. Cette congruence est suffisante à l’échange à propos de ce contenu.

La photographie et l’image selon la perspective produisent une image 2D par une relation bijective avec la réalité 3D. Cette bijectivité construite sur les lois de l’optique est paradoxalement, la garante de la représentation du réel et simultanément de son décalage avec le dit réel. En ce sens, on peut dire que la photographie, comme la peinture selon la perspective est une traduction-transposition de la réalité. Et c’est ce que nous le rappelle le noyé de Bayard. La photographie la plus réaliste comporte toujours une part de fiction comme le montre l’article de Bernard Perrine, intitulé « Des illusions de l’image photographique » publié dans le numéro 140 de TK-21 LaRevue.

© Hervé Bernard 2023

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Regard sur l’image,
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350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
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