Ces images d’Hervé Bernard qui prennent pour appui des fragments de fil de fer barbelé sont de part en part décontextualisées. C’est donc cette matière à la fois palpable et intouchable qui s’avance vers nous et vient griffer de ses pics pointus ou de ses barbes tranchantes notre œil imparfait.
En arrière plan, à quelques exceptions près, il n’y a, soumis au traitement psychédélique d’une coloration acide, que des fonds neutres. Sur ces exceptions figurent en effet un objet du quotidien : landau, palette ou pyramide du Louvre. Sur les autres, fonds irréels, les formes dessinées par les paquets de barbelés sont projetées vers l’avant plan où elles se découpent et semblent tenter d’assaillir l’œil qui s’approche d’elles.
Ce sont ces images là qui, déconnectées de toute allusion à la fonction de ces barbelés aujourd’hui, en renforcent paradoxalement la puissance d’expression en ce qu’elles font glisser le champ de la signification vers le domaine infini de l’allégorie. Un cœur dessiné évoque un cœur vivant qui continue à vibrer derrière la ligne infranchissable, mais un entrelacs de fil de fer barbelé aux formes arrondies le plus souvent peut ainsi se mettre à signifier.
En ce point particulier le champ de signification est singulièrement restreint. Car ce n’est pas l’emprisonnement du réel qui est alors visé mais le symbole inscrit à même la forme de ces paquets de fil. Oui, cette forme évoque, inévitablement pour nous, la couronne d’épines dont le Christ fut affublé lors de sa passion.
Alors, cet ensemble d’images change sensiblement de signification. Celle-ci, au-delà du cri de protestation contre les blessures territoriales dont ces fils sont les acteurs, tend à renforcer la puissance d’évocation du symbole. Elle l’irrigue, ce symbole, de ses associations secrètes et c’est ce qui le rend à la fois présent, actif et efficace tout en étant discret.
Et sur nos têtes nous sentons le crissement déchirant des pointes d’épines et si nous ne devenons pas directement Christ nous-mêmes, ou par procuration, nous commençons d’éprouver à même notre front, la puissance acide de la dissolution du temps dans les formes du mépris.
- Éloge des Ronces Artificielles, Discours préparatoire à leur 150e anniversaire.