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- Faire des Dieux I 2/2De Perceval aux Experts Miami, un voyage dans les arcanes de la conscience

,  par Hervé BERNARD dit RVB, Jean-Louis Poitevin, philosophe, critique d’art, romancier

Première partie

Seconde partie du Séminaire I

III Perceval, main gauche, main droite
Il y a aussi une autre manière de faire fonctionner le savoir de la conscience, qui consiste à la conduire, à la diriger non par le savoir ou la connaissance, mais par le non-savoir, entendons par l’occultation de tout ou partie de ses capacités. Et dans ce cas, si c’est tout alors on quitte la conscience et on rentre dans le champ de l’expérience, dans le champ des états hors-conscience, ou plutôt des états de conscience modifiée, ou encore dans les zones à risque que la Mystique a explorées. Lorsque résonne le mot de Non-savoir on voit s’allumer l’ampoule Georges Bataille dans la bibliothèque. Nous nous en tiendrons aujourd’hui à une version d’occultation non de toutes les facultés de la conscience mais d’une partie de celles-ci. Nous allons trouver sur notre route Perceval le gallois et Chrétien de Troyes donc, qui meurt entre 1180 et 1190 avant d’avoir terminé la rédaction de ce livre.

La conscience est conscience de ceci et de cela, et le ceci et le cela sont en particulier des aspects de l’existence de l’individu auquel cette conscience appartient et que d’une manière elle constitue. Mais en tant que telle, comme mécanisme psychique complexe et sous un certain angle « autonome », elle est censée offrir au sujet, au moi, au soi, comme on veut, une vue d’ensemble sinon de l’absolue totalité de ses activités et donc de ce que pense, souhaite, désire et fait celui ou celle à qui appartient cette conscience. Et pourtant, il n’a pas fallu attendre la psychanalyse pour savoir qu’il y avait des zones qui échappaient à la surveillance de la conscience. L’histoire, la littérature et la philosophie depuis leurs origines nous rapportent des situations dans lesquelles la personne, l’individu, le sujet, et donc la conscience qui le gouverne et qu’il gouverne, peut se retrouver comme dépossédée de tout ou partie de ses prérogatives.

Dès les premières lignes du Perceval de Chrétien de Troyes, après les deux paragraphes d’envoi au comte Philippe de Flandres son mécène, mais toujours dans le passage qui lui est consacré on peut lire, en effet, ceci : « Le comte est tel qu’il n’écoute nulle vilaine plaisanterie, nulle sotte parole, éprouvant de la peine s’il entend médire d’autrui quel qu’il soit.

Le comte aime droite justice, loyauté et sainte église. Il déteste toute vilénie.il est plus large qu’on le sait. Il donne selon l’Évangile, sans hypocrisie, ni tromperie en disant : « Ne sache ta main gauche le bien que fera ta main droite ! Le sache seul qui le reçoit et Dieu qui tous les secrets voit et sait si bien tous les mystères qui sont au cœur et en entrailles. »

Pourquoi l’Évangile dit-il « Que ta main gauche ne sache ce que fait ta main droite ? » C’est que la main gauche signifie fausse gloire qui vient d’hypocrisie trompeuse. Et la droite représente charité qui ne se vante de ses bonnes œuvres mais les dissimule si bien, que nul ne sait sinon celui-là qui a nom Dieu et charité. Dieu est charité et qui vit en charité selon l’écrit de saint Paul (où je le vis et je le lus) demeure en Dieu et Dieu en lui. » [1]

Mais cette explication théologico-pratique faite avec la meilleure bonne foi qu’autorise le fait de s’appuyer sur les textes saints révèle surtout que la chose n’est pas aussi simple à comprendre qu’elle le semble. Car ce qui est mis en avant ici est une sorte de principe de disjonction dans la conduite des affaires personnelles qui est à la fois mise en action d’un mécanisme en quelque sorte autonome dans la conscience et un aveu et une reconnaissance que de la prise en compte de ce mécanisme. Et ce mécanisme n’implique pas un fonctionnement optimal de la conscience, mais au contraire un fonctionnement « consciemment » limité de celle-ci, un fonctionnement incluant un défaut ou au moins une non complétude et de ce fait assurant à celui qui agit la possibilité d’éviter un piège un défaut plus grave encore qui est d’être en proie à la tromperie, c’est-à-dire au diable ou à satan lui-même.

Ce défaut, donc, est à la fois preuve de bonne foi (acceptation et reconnaissance de sa petitesse humaine) et mécanisme permettant (peut-être) d’échapper au diable, en ce qu’il assure automatiquement en quelque sorte le travail de pesée et de tri entre le bien et le mal. Ainsi, c’est paradoxalement en s’en remettant à ce « savoir incomplet » que le sujet peut espérer échapper au piège que tend à chacun le diable et opérer, agir et vivre selon la voie droite, celle qui se déploie dans le respect de Dieu, celle qui permet à l’homme, à chaque homme, s’il la respecte, de bien se comporter et de faire les bons choix.

Et en disant cela on découvre donc le véritable enjeu, le véritable sujet de ce roman du XIIe siècle. En effet la véritable question à laquelle tente de répondre le roman en tant que tel, c’est : « Que faire ou comment me comporter pour agir selon la voie droite, la voie de Dieu et ainsi échapper au mal, à l’emprise que le diable peut avoir sur moi ? »

Pour vivre selon la loi de Dieu il faudrait et il suffirait de ne pas laisser la main gauche agir et ne laisser faire que la main droite, car celle ci ne pouvant faire que le bien, il ne serait donc pas possible de mal se comporter.

Or, ni le choses ni la vie ne sont si simples. Ce partage bien et mal ou droite et gauche recouvre un partage à l’évidence plus confus ou en tout cas moins efficient qu’il n’y paraît. La encore la porosité entre ces deux mondes qui sont pourtant tous deux comme nos deux cerveaux logés dans la même tête, dans le même corps, dans la même personne, ces deux mondes répondant à des lois si différentes cohabitent en chacun de nous et ne cessent donc, comme nos deux cerveaux, d’interférer l’un avec l’autre.

Et là est le problème, là est la difficulté. Cette interférence est constante et la séparation prônée par l’évangile et affirmée au début du livre, cette séparation est fragile, l’écart n’est pas si grand que des émanations ne passent d’un côté à l’autre, le mur n’est pas si haut ou si épais que des infiltrations ne puissent se produire d’un côté à l’autre.

Et, de plus, cette « technique » supposée efficiente pour échapper au mal va à la fois perdre de son efficacité dès que Perceval va entrer en scène et surtout être mise à l’épreuve à travers celui qui occupe la place du héros, à la fois sous certains aspects au sens grec, mais surtout au sens chrétien.

C’est donc à l’étude de cette porosité, de certaines de ces interférences entre bien et mal telles qu’elles s’opèrent et opèrent dans l’individu, que s’intéresse le texte. Il le fait sous couvert et à travers des histoires incroyables et aventureuses de chevalerie, où est mise à l’épreuve la droiture, où la vengeance joue un grand rôle et où, et là est le « hic » de ce roman, une erreur grave va être commise par Perceval lui-même. Cette erreur vient précisément de ce que, et c’est un comble, à l’inverse donc de ce que l’on peut penser, la porosité n’aura pas été assez grande entre savoir et ignorance. Il va commettre un impair impardonnable parce que la séparation entre faire et ne pas faire, entre agir et ne pas agir, ici entre dire et se taire, parce que le bon partage mis en pratique aura été en quelque sorte trop efficace.

On se souvient que cet acte par défaut est le fait que Perceval en voyant passer le Graal est si fasciné et si prompt à NE PAS poser la question qui lui brûle les lèvres qu’il prive le roi pécheur du salut auquel il aspire tant et depuis si longtemps.

Il faut rappeler que la mère de Perceval et les deux ou trois chevaliers lui ont donné des conseils essentiels pour bien se comporter dans la vie dont le principal et de ne pas trop parler et de ne pas questionner mal à propos.

Revenons à la porosité. Porosité entre quoi et quoi ? Entre savoir et non savoir, entre conscience et non-conscience, entre mémoire et oubli, ou bien, plutôt, entre détermination à l’action et suspens de l’action, quelle que soit cette action, qu’elle soit un acte de bravoure ou l’énonciation du phrasé ?

On voit le lien immédiatement avec l’un des enjeux majeurs traversant Hamlet.

C’est que, pour Perceval et dans le monde dans lequel il vit, tout fait acte, et c’est bien le problème. Mais dans un tel monde, c’est-à-dire dans le monde qui est aussi encore le nôtre, il faut passer son temps, si l’on veut agir bien, - et cela quel que soit le « bien », de vivre selon la loi de Dieu ou de remplir bien un CV et de faire une bonne lettre de motivation pour trouver un travail – à chercher à savoir à qui et à quoi se fier. À qui et à quoi faire confiance ?

Or un choix opéré par la conscience, en toute conscience, en toute bonne conscience si l’on veut, ne se peut faire que si cette dernière, cette instance permettant de trier entre bien et mal, dispose de quelques points d’appuis, de quelques bases solides ou disons fiables. Pour l’individu cela se traduit donc à travers la question de la confiance. Et cette question se décline en un faisceau d’éléments composés aussi bien des personnes que des signes, de gestes que de paroles, d’objets que de situations. Et chaque élément est lui-même comme enveloppé dans cette ambiguïté (ni ni) ou cette ambivalence (et et) et cette enveloppe, claire et opaque à la fois oblige ceux qui s’y trouvent pris à mettre en branle un système d’interprétation de ces éléments relevant tous de niveaux différents mais tous relevant du même système général puisque pris dans cette enveloppe qui n’est autre que la vie telle qu’elle est en tout cas présentée par Chrétien de Troyes dans le roman, et qu’il faut bien nommer par son nom, celui d’herméneutique.

(Qui concerne, qui a pour objet l’interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes. Science des règles permettant d’interpréter la Bible et les textes sacrés, d’en expliquer le vrai sens. Théorie, science de l’interprétation des signes, de leur valeur symbolique. Herméneute, subst. masc.[Dans l’Église chrétienne des premiers siècles] Ministre chargé d’expliquer l’Écriture ; p. ext., celui qui explique, interprète l’Écriture.)

Perceval ne cesse en effet de se demande à qui, à quoi, à quelle personne à quel objet, se fier. C’est à dire à qui ou quoi donner sa foi, de tous ces être ou de toutes ces choses qui à l’évidence ne sont pas Dieu mais, comme chaque être en sont des créatures et comme toute créature sont en proie au risque d’être happés par le mal et donc de détourner le héros du droit chemin, car c’est là ce qui le caractérise ce Perceval, c’est qu’il cherche à suivre la voie droite à vivre selon ce qu’on lui a appris dans la mesure où ce qu’on lui a appris a été formulé par des personnes dans lesquelles il pouvait avoir confiance sa mère et XXX.

Perceval est moins un roman d’aventures ou un roman de formation avant la lettre qu’un roman herméneutique au sens où il est en tant qu’aventurier en quête de quelque chose dont il ignore tout sauf que cela doit le conduire à bien se conduire. Et c’est précisément les failles dans cette approche herméneutique qui semble simple (que la main gauche ignore ce que fait la droite) qu’il s’agit d’inventorier et qu’il s’agit de mettre en scène, ce qui permettra au lecteur-héros, de parvenir à mieux comprendre ce qui lui arrive, à mieux agir, à mener une vie droite.

Mais faire confiance à ceux qui nous ont enseigné et dont on sait qu’ils ne peuvent pas tromper ne suffit pas à échapper aux pièges que nous tendent d’une par la vie et les autres, et d’autre part soi-même.

Seulement voilà, Perceval n’a pas de SELF, pas de moi ou de soi, pour parler avec le Foucault des années 80.

C’est qu’il est affecté non pas d’une conscience mais d’un psychisme à deux faces, d’un psychisme « bicaméral » du moins en grande partie bicaméral. Ce que met en scène ce roman, qui date d’avant l’invention de la forme renaissante, moderne de la conscience, c’est un moment non pas de doute mais de reprise de la question du « soi » et de tentative de lui donner corps à travers ce héros. Cette bicaméralité est mise à la sauce chrétienne, mais elle est clairement présente car c’est à un défaut de sa conscience à la fois du mécanisme et de sa personne qui en est donc affectée qu’il doit d’être à la fois ce qu’il est un héros et de devenir ce qu’il doit être un héros chrétien.

En effet Perceval est affecté non par le mal, il ne pourrait dans ce cas être héros chrétien, mais par un défaut, certes qui peut être « corrigé » mais qui n’en est pas moins problématique, l’oubli, oubli auquel est associé un autre défaut, les dysfonctionnements relatifs mais réels de sa conscience relative, de son esprit auquel manque quelque chose, précisément de pouvoir appréhender le défaut qui est le même pour lui que pour ceux qui eux vivent et font le mal, mais par lequel, comme pour la Vierge à travers la théorie tardive de l’immaculée conception, ils ne sont pas affecté ontologiquement, dans leur être propre, ce qui leur permet de révéler les failles du système sans être la proie du mal, l’otage de satan.

Ce système efficace mais par défaut, ou avec un défaut majeur, est celui revendiqué au début de l’ouvrage. Il marche un peu, en gros, comme une règle mais il ne prémunit pas Perceval, et personne d’autre de faire des fautes et en ce qui concerne Perceval, au moins une faute grave.

Et ce défaut qu’il porte en lui comme sa marque de fabrication, comme tant d’autres hommes, c’est la capacité d’oubli ou d’occultation de la présence de Dieu en eux-mêmes, c’est la capacité à s’ouvrir à sa présence, à l’accueillir et faire en sorte que ce soit lui et non satan qui détermine leurs actions.

La conscience qu’il a de ce qu’il fait est donc en quelque sorte de faible intensité pour ne pas dire nulle. Car elle est comme enveloppée par une force qui la dépasse et l’englobe et qui est, du point de vue global, Dieu et du point de vue de l’homme sa foi, la pratique de sa foi, la réalité de sa foi. Mais cette foi et dette, présence active de Dieu dans le monde, est interrompue ou brisée par moments ou par endroits par cet élément de la structure psychique qui est non pas satan lui-même, cela c’est pour les faibles les futurs damnés, mais un défaut mécanique qui affecte potentiellement chaque homme même bon : l’oubli. Cet oubli est comme inscrit à même le cours du récit par l’incapacité où est le héros de transgresser la loi qu’il a reconnue être juste, d’autant que cette transgression se donne comme un non transgression. On lui a dit de ne pas parler à tort et à travers et là cette fois là il aurait fallu le faire.

L’explication de cette erreur, de ce manquement à sa droiture fait de Perceval peut-être le premier roman moderne qui conjugue à la fois des signes et de leur interprétation en mettant en scène un individu qui parvient mal à les interpréter. Mais il y parvient malgré tout aidé par des gens qui lui rappellent que la confiance est tout mais qu’elle ne doit pas être entachée par l’oubli de son propre engagement, par l’occultation même temporaire de sa propre foi.

Et c’est cela qui est arrivé à Perceval.

Perceval arrivant au château du Graal (détail)

Les prémices de la seconde chance
Avant ce moment essentiel de l’anamnèse percevalienne, il y a un moment célèbre celui des trois gouttes de sang laissées sur la neige par une oie blessée et qui font remonter à l’esprit de Perceval le visage de sa bien aimée. Mais ce que ce moment met en scène c’est un moment d’oubli au sens où, face à cette vision, trois gouttes de sang réelles qui font monter en lui une vision hallucinée de sa bien aimée, il s’oublie lui-même. En d’autres termes il rêve. Ce n’est pas exagérer de rapprocher le fantôme du père d’Hamlet avec le fantôme de la bien aimée qui « paraît » au sens strict à l’esprit de Perceval mais qui en même temps lui fait oublier le monde.

L’enjeu du roman, sa puissance effective, c’est de montrer à travers le héros comment coordonner vision et action dans le monde.

Si le déclic de l’anamnèse a lieu là, il prendra la forme d’une « rédemption » un peu plus loin. Qu’importe que nous ne sachions la fin du roman, nous savons que l’enjeu est celui-là.

Voici quelques extraits du texte :

 1. du moment des trois gouttes de sang : p 110 et 11 et une ligne p112.

 2. De la grande scène mettant en scène comment et pourquoi Perceval a raté la chance de sauver le roi pêcheur qu’il ignorait être son oncle, et donc comment et pourquoi il a en quelque sorte perdu la mémoire ou oublié, occulté, perdu de vue Dieu, en tant que personne et en tant que principe permettant de s’orienter dans l’existence (p153-159).

Car c’est de cela qu’il s’agit toujours, dans un roman, de mettre en scène des éléments qui permettent de s’orienter dans l’existence ou qui évidemment, au contraire on fait qu’on s’est écarté de la bonne route de la vie juste, voire même qu’on a perdu le fil de la droiture et qu’on est allé se perdre dans le chaos. Mais pour mieux s’en sortir ?

On connaît sur ce point les thèses deleuziennes.

Il y a un point essentiel dans Perceval qui le relie à notre époque du moins sous certains aspects, comme on va le voir bientôt, et c’est celui de la forme que prend sa culpabilité lorsqu’il perçoit que malgré ses exploits il s’est égaré, il a perdu le fil de la droiture. Il s’aperçoit qu’il a oublié Dieu radicalement, obsédé qu’il était, fasciné, emporté qu’il était dans les joutes chevaleresque. Il a vécu une forme d’hallucination et c’est cela que l’on nomme souvent le mal, c’est cela qui constitue le véritable péché. Cela quoi ? Le fait de ne pas parvenir à contrôler son psychisme de ne pas oublié qu’on a oublié l’essentiel en se jetant corps et âme dans des activités quelles qu’elles soient. Ici la chevalerie et le fait de redresser les tors de gentes demoiselles soumises à des chevaliers peu scrupuleux. Perceval a oublié Dieu en se consacrant à l’honneur et aux valeurs de la chevalerie sans s’apercevoir qu’il fallait au contraire les tenir liées, accomplir les unes sans perdre le fil de l’autre. Et c’est cet oubli de l’oubli, l’occultation du fait qu’il avait en se jetant dans la vie, oublié ce qu’il avait promis, ce à quoi il s’était engagé avant même de prendre fait et cause pour la chevalerie qui constitue son péché.

La culpabilité est ce qui se manifeste lorsque soudain cet oubli de l’oubli se décompose en un oubli et ses causes (ici la promesse faite à sa mère de revenir la voir avant sa mort). L’oubli n’est pas un acte involontaire ou une faiblesse de la volonté du sujet. Le sujet Perceval n’existe pas autrement que par sa fougue hallucinée. L’oubli c’est l’oubli de ses propres engagement de ses propres promesses dont la plus essentielle était d’aller régulièrement à l’église, entendons de ne pas oublier Dieu. Or c’est ce qui s’est produit. Dieu ne s’est pas caché, il ne s’est pas retiré (nous n’en sommes pas encore à l’époque de Pascal et du Dieu caché). Il a été oublié par Perceval, par un homme, mais un homme halluciné. Dieu a été occulté par le nuage vibratile et coloré particulièrement excitant des actes héroïques du chevalier.

Lorsqu’on lui remet en mémoire cet oubli, cet acte involontaire mais efficient, c’est qu’on lui explique qu’il n’ne est pas véritablement responsable. C’est en ce sens qu’il n’est pas sujet. Ce n’est pas non plus Dieu lui-même qui en est la cause, ni le Dieu d’amour ni le Dieu omnipotent. C’est une faille dans le système psychique qui fait qu’on se lance à corps perdu, à âme perdue ou perdante faudrait-il dire, dans des aventures excitantes en suivant une sorte de premier élan ou d’élan premier de désir impulsif plutôt que de déployer ce qui par une parole donnée pouvait et devait constituer le fil droit d’une vie juste.

« Frère, ce qui t’a nui, c’est un péché que tu ignores ». (p. 157). Telle est la situation psychique assez bicamérale dans laquelle se trouve Perceval. Mais alors, grâce à un tiers qui lui rappelle son oubli, quelque chose advient qui est par la formulation consciente et volontaire (« dis-moi si tu le désires ? « p.158) d’un désir. Et ce désir est en fait second, il est la réaffirmation la répétition ou la reprise d’une affirmation énoncée dans un cadre ou le non-savoir dominait et qui est cette fois faite dans un cadre qui inclut et s’appuie sur l’expérience de l’oubli.

Au sens strict, c’est la plus intense des expériences possibles puisqu’elle a conduit à un véritable risque de périr dont la forme fut l’oubli de Dieu et donc la perte possible de son âme, autant dire de son humanité. Perceval en devenant un tel héros adulé et respecté pour sa force et son invincibilité a en fait perdu toute relation à ce qui est juste parce qu’il avait perdu, sans en être responsable toute relation avec Dieu. Ce qui se produit en lui est non seulement un souvenir de l’oubli, mais une anamnèse, c’est-à-dire une opération transformative, performative et constructive de remémoration.

En d’autres termes, la mémoire, le souvenir, le ressouvenir, tout cela ne sert à rien si cette opération n’est pas accompagnée d’une transformation, du « soi », de soi, du sujet. Mais ce qui importe c’est de constater que ce soi, ce sujet n’était pas un soi « complet ». Quelque chose lui manquait dont il ne savait rien et dont il était pourtant la cause. Le sujet, le soi, n’était pas encore, parce qu’il n’était pas complet.

Cette transformation tient en ceci que quelque chose comme une forme de conscience est inscrite, inventée, construite, par cette opération et cette opération est ce qui valide définitivement la transformation du Perceval halluciné en un Perceval « conscient » disposant d’une « intériorité ». Il en disposait, mais elle n’était pas dépliée, déployée et parce qu’il ne la voyait pas, ne savait pas qu’elle était là. Désormais il le sait et va donc pouvoir poursuivre sa quête en sachant. Perceval est en train de devenir sujet, et devenir sujet suppose en effet de retrouver Dieu, de retrouver une âme, de devenir enfin véritablement homme et non pas seulement marionnette d’un soi bancal formé d’un psychisme intermittent, bicaméral, halluciné.

Il ne faut cependant pas oublier le début du roman et la citation de l’évangile de Matthieu (6.3) qui valide la puissance déterminante du bicaméralisme comme dimension « originaire » du psychisme, dimension qu’il faut parvenir à modifier ou plutôt à accomplir en contrôlant la relation cerveau droit cerveau gauche au moyen du fil rouge qui les relie comme univers et comme activité. Ce fil c’est la mémoire, pas celle des choses, des dates etc..., mais celle de la promesse et de l’engagement, celle qui permet de se souvenir de Dieu. C’est elle qui constitue le pont entre deux visions du monde, deux aspects de l’existence.

Et c’est la lutte entre ces deux puissances, Dieu et le diable qui constitue l’homme le sujet la conscience le soi car l’homme est à la fois l’otage et l’hôte, le sujet assujetti et le maître potentiel lorsqu’il parvient à prendre le contrôle non pas de Dieu ou du diable mais des chemins par lesquels le contact entre les deux se produit « en » lui-même. L’intériorité s’invente une nouvelle fois sous nos yeux.

L’écartement entre l’oubli et l’oubli de l’oubli est donc ce qui ouvre un espace métaphorique essentiel puisqu’il est celui dans lequel va s’accomplir ce qui est essentiel, le fait que quelque chose de vécu, une vie sous hallucination, et quelque chose de négatif, l’oubli et l’oubli de l’oubli, vont être transformé non seulement en un autre quelque chose de « positif » mais apparaître comme la seule véritable expérience qui vaille celle sans laquelle les autres expériences n’ont aucune valeur et en particulier les exploits chevaleresques.

La « morale » courtoise qui fonde la relation des des chevaliers au monde, basée sur une conception singulière de l’amour ne peut trouver sa justification, sa légitimité, que si elle est portée, supporte, inscrite dans un cadre plus large, celui de la remémoration avec transformation de soi, du soi, transformation de la perception ou de la conception du monde et donc émergence d’une forme de conscience dotée d’une intériorité.

La main droite sait désormais ce que la main gauche peut faire, occulter Dieu et donc qu’elle doit, pour accomplir sa fonction maintenir ou faire régner le droit, savoir ce que la main gauche fait réellement : non pas tuer de méchants chevaliers mais tirer un rideau devant l’âme pour l’empêcher de voir le bien et de conduire sa vie en fonction et en relation avec le bien, avec Dieu. L’œuvre véritable du soi est donc de trier dans l’esprit entre bien et mal en s’appuyant sur le bien sur Dieu sur le non oubli de Dieu.

Cette mutation comportementale est la seule et unique véritable expérience celle qui nous fait sortir de ce périr absolu pire que la mort dont les hommes ont peur et qui serait de mourir aux mains de satan d’avoir perdu donc la relation avec Dieu.

Seconde chance et séries américaines
Nous pousserons donc l’audace ici à voir dans ce moment de remémoration, d’anamnèse, auquel est conduit le véritable héros une apparition bien concrète d’une seconde chance. La chance seconde c’est que l’oubli a pu être décollé de l’oubli, ou plus exactement que l’hallucination vécue de la quête chevaleresque a été décollée de la puissance de l’oubli de Dieu qu’elle impliquait. Ce décollement a ouvert un espace dans lequel ce qui s’appelle soi ou conscience a pu se constituer.

C’est de cela que risquait de mourir Perceval, d’avoir vécu une fausse vie basée sur l’oubli de Dieu. Désormais, il a accès à la vraie vie, celle qu’il a vue comme en rêve lorsque le Graal est passé devant ses yeux. Et en effet, c’est à cette source que la vraie vie doit s’abreuver. Le Graal, c’est donc ce moment où la seconde chance, celle qui permet au sujet qui n’en était pas un d’avoir oublié Dieu, de devenir sujet en Dieu, de s’accomplir comme tel dans cette vérité là, dans cette puissance là. Du ping-pong droite-gauche, on arrive à une tension extérieur-intérieur. Le vécu s’est ouvert à cette respiration profonde. Le chevalier hors conscience est devenu un être ayant inventé un « lieu » dans lequel il découvre ce qui y était de toute éternité mais qu’il doit installer lui-même pour l’y trouver et le faire « sien ». Telle est la métamorphose profonde sans laquelle rien ne peut être nommé du puissant nom d’EXPÉRIENCE !

Et c’est cet « espace » ce « lieu » qui aujourd’hui encore même s’il est en partie modifié constitue à la fois la forme et l’enjeu du message que des séries télévisées comme Les experts Miami, mais au fond toutes les autres, promeuvent. Nous allons tenté de l’apercevoir à travers deux exemples tirés de quelques épisodes.

Un épisode parfaitement biblique des « Experts Miami » se présente comme une véritable parabole confirmant l’idée selon laquelle les personnage d’Horatio Caine est la forme communicable d’un mélange entre le Christ, un curé et un redresseur de torts. On notera le prénom du personnage qui évoque à la fois Hamlet et le personnage d’Horatio.

Il est l’ami loyal d’Hamlet apparaît souvent à ses côtés. Au début de la pièce, en compagnie de Marcellus et Bernardo, il annonce au prince que le spectre ressemblant à son père apparaît la nuit. À la fin de la pièce, voyant son ami mourir, il se propose de boire la coupe de vin empoisonnée promise à Hamlet, mais celui-ci refuse, et prie son ami de rester en vie pour raconter son histoire. Il est, avec Fortinbras, l’’un des seuls personnages principaux de la pièce à ne pas mourir.

Et son nom qui fait plus qu’évoquer Caïn, qui est le même nom, celui du premier assassin de l’humanité si l’on se base sur le récit biblique.

Dans un épisode donc de cette série, une femme qui est une prostituée de luxe, aime un riche devenu pauvre car ayant été dépouillé de sa fortune par son comptable. Elle promettra de témoigner contre son mac en échange de sa liberté et embrassera Caine après avoir accepté de passer du camp de la libération par l’amour vrai dans le camp de la loi qui pardonne si on la fait fonctionner en repassant du oui d’une promesse, la ligne invisible séparant le mal du bien.

Caine est le passeur, le marqueur, l’opérateur christique. Il faudrait dire « pur » mais non car il faut que la loi, celle de la deuxième chance, cet écart entre mal et bien qui EST le vrai et actuel visage de Dieu, soit rendue sensible dans sa force pure de pardon immédiatement actif, si en face se donne un oui immédiat.

Là, dans cet épisode, il semble qu’il n’y ait pas de temps pour une seconde chance, car la seconde chance. Mais quelle était la première ? En fait la première, c’est l’amour entre la putain et son acheteur et l’histoire a mal tourné. Normal on est dans la norme du mal banal : un mec riche cherche une femme croyant payer pour un club de rencontre en vue d’une mariage quand il paye pour une pute qu’il ne peut plus (il est ruiné brusquement) racheté à sa vraie valeur vénale.

Alors comme il se doit il y a eu une première chance : la seconde c’est maintenant. L’amour « pur » sentimental ET sexuel n’est pas assez « pur » (car il s’extrait du mal et est couvert encore de la poussière satanique brillant sur la peau et du sperme sur le drap et de la bague n’ayant pas trouvé son doigt) avant d’avoir été purifié. Purifié, c’est-à-dire conduit de l’autre côté de la ligne invisible qui sépare bien et mal. Cette ligne sépare le péché avec rachat individuel du véritable rachat social. Le péché de celui qui a payé sa dime par sa mort, l’homme riche/pauvre qui aimait et voulait offrir un rachat social à la prostituée, est remisé par l’agent de la loi qu’est le flic de la scientifique et par le pardon offert par la loi.

Le juge de son côté dit à la femme que si elle accepte de donner le nom de son mac, le flic la libère immédiatement. Ce pardon est servi sur un plateau par le christ-curé-flic-nautonier qui a pu, pour une fois, trouver une âme suffisamment bonne et consciente de sa faute pour la ramener du bon côté du monde.

Miami, c’est l’enfer ou disons une portion de notre belle planète qui se trouve aux mains du diable et de ses agents. Sur la même terre, d’autres, silencieux, vivent dans le bien. Faire la fête est le risque (argent sexe drogue etc...) car l’ivresse emporte loin du rivage, l’ivresse entraine la désinhibition mais par les moyens du mal.

Revenir vers le bien est le plus souvent impossible. On reste prisonnier de Miami, de la fête de l’excès de cette prison « dorée » qui est en fait la boîte noire de l’enfer.

Mais ce soir, elle était belle, jolie, douce, prise dans un piège qu’elle n’avait pas vraiment choisi et un regard du christ flic suffit à la laver d’une poussière qui n’avait pas réussi à coller sur sa peau.

Libre donc d’aller dans la ville silencieuse où le bien existe avec dans son cœur l’image du mort démembré par le caïman qui l’a croqué.

Et voilà ! Une image s’impose ! C’est celle d’un saint Georges semblable à celui de Carpaccio à l’église Dei Schiavonni de Venise. Voilà ce qu’est Horatio Caine oui, pas un christ-flic-nautonier-curé, mais un SAINT porté par la bonne ivresse, la bonne excitation, la bonne révélation, celle qui fait que sans peur il affronte le dragon, traverse le champ couvert de membres épars et va délivrer la belle prisonnière enchaînée (qui était là pour être livrée à l’envie, au désir, à la concupiscence, à la cupidité, à la dévoration vorace et sexuelle d’un monstre terrifiant incarnée par les hommes Miami). Cela devient évident par la ressemblance entre le dragon et le caïman. On ajoute aussi les mauvais parents, la mère maquerelle et le père maquereau, car c’est la femme qui organise le crime, l’autre engrangeant l’argent, l’une presque honnête, l’autre presque intègre, tout étant en effet dans le presque !!.

Voilà ! La figure du saint Georges dans cet épisode éclaire d’une lumière un peu céleste l’ensemble de cette série et confirme certaines intuitions.

En tout cas la double chance et le Saint Cavalier Sauveur sont les deux éléments récurrents permettant d’affirmer que cette série (mais aussi beaucoup d’autres du même acabit) et un grand nombre de films américains dont nous abreuvent les chaînes gratuites sont les véritables vecteurs d’une guerre culturelle, d’un envahissement culturel acceptés sans coup férir par tous nos gouvernements et dans toute l’Europe et ailleurs depuis plus de cinquante ans et dont les effets se font sentir dans certains changements des mentalités. Pas d’étude sérieuses sur cela les faits et les effets…

Il reste l’herméneutique et une certaine audace dans l’honnêteté intellectuelle pour décrypter (mais il est un peu tard et plus tôt n’aurait rien changé !!!) la force et la réalité du lavage de cerveau dont nous sommes les si volontaires otages, les si sérieux serfs, les si désireux amants !

Et la réactivation si violente organisée contre les autres propagandes tient à ce que celle que nous connaissons en est une et qu’à trop écouter les autres non seulement on pourrait les trouver plus désirables mais on pourrait comprendre en quoi elle le fut, propagande, cette vague sans fin venant déposer sur les côtes européennes tant de biens en si bon état mais surgissant de quel naufrage ?

Suite : de la différence entre une descente en enfer et une visite active aux enfers en vue qui sait de sauver une âme
Les feuilletons américains qui repassent en boucle sur les chaînes gratuites sont donc d’un apport non négligeable dans le domaine de la théologie. Leur fonction essentielle est de porter la bonne parole wasp avec des accents parfois évangélistes quoiqu’ils soient énoncés sous couvert d’un respect apparent des lois de la raison et outre la moral américaine ils défendent la validité du fond de croyance chrétien revu par deux siècles de lessiveuses US.

Et ce fond de croyance s’articule à des dimensions pré-chrétiennes évidentes. Car il ne s’agit que de deux choses dans ces films : entrer en communication avec les morts et maintenir le choc de la révélation à une distance telle qu’elle puisse être conçue comme proche ou devant arriver prochainement pour la « bonne » nouvelle et qu’elle puisse être effaçable ou rédimable, grâce à une seconde chance, pour les « mauvaises » nouvelles.

Il faut ici évoquer la nouvelle d’Henry James, Les années médiane retraduite récemment chez Allia sous le titre de La seconde chance et qui raconte la fin d’un écrivain qui n’est pas parvenu selon lui à donner tout ce qu’il avait en lui dans ses livres et qui malgré ce que lui dit un jeune ami et médecin, ne pourra pas le faire avant de mourir.

En fait, dans la nouvelle de James, il n’y a pas de deuxième chance ! Et c’est cela qu’il faut masquer, qu’il faut tenter de faire disparaître ou en tout cas de discréditer si l’on se place bien sûr du point de vue de la pensée chrétienne et de celle qui gouverne les séries américaines.

En effet, ce que l’expérience nous dit, l’expérience que fait tout homme, ce que la science ou nos connaissances actuelles en terme de médecine nous disent, c’est qu’il y a la vie, pour chaque individu, une vie et donc no résurrection ni vie après la mort. Mais on le sait le fondement de la théologie chrétienne tient en une formule : il est mort et il est ressuscité ! La promesse chrétienne est celle d’une seconde chance, même si elle a été jusqu’ici indéfiniment repoussée dans son surgissement dans son avènement. La fois chrétienne se constitue autour de cette contradiction à la fois expérientielle et logique.

Dans ces séries grand public, on utilise donc la science, en fait la technologie, pour accréditer malgré tout la possibilité imaginale, sinon d’un retour du moins d’un NON départ ou d’un départ non définitif. La deuxième chance alors, c’est la preuve que ce rêve, cette fiction, n’est pas tout à fait impossible et que par la foi ou par une bonne conduite une conduite juste basée sur le respect de la loi, alors on peut soutenir cette possibilité.

Dans la série Esprits criminels, on peut évoquer un épisode qui s’ouvre et se clôt sur une phrase, une citation empruntée à des noms les plus souvent inconnus de ce côté-ci de l’Atlantique, citations qui ont pour fonction de mettre un couvercle sur l’horreur qui a été évoquée dans l’épisode et de la rendre un peu plus apte à être digérée puisqu’elle est alors en voie de conceptualisation.

Il y a eu ici la phrase finale qui était la suivante : « différer est la plus mortelle forme du déni... »

On trouve donc évoquée ici l’essence de la tension théologique qui anime cette série et tant d’autres. Il s’agit d’inciter à l’action contre le mal et d’inciter à accepter le fait d’être, sinon coupable, du moins co-responsable du fait qu’il ne soit toujours pas éradiqué, parce qu’il y a toujours quelque part des poches de résistance ou de déni... face à l’exigence éthico-morale implicite et explicite qui se dégage de l’état dans lequel est l’homme (sa situation existentielle...) et qui consiste à NE PAS être prêt à chaque instant à s’engager dans les légions du bien. (en termes percevaliens, à ne pas se souvenir de Dieu).

L’homme est essentiellement « coupable » à cause de son incarnation. (en fait il ne parvient pas à dire non à NE PAS faire ce qu’il faudrait ne pas faire pour ne pas faire le mal enivré qu’il est par les facilités que la vie offre en guise de plaisirs etc.) L’inhibition impossible ou si difficile qu’elle reste à jamais inaccessible est l’enjeu, c’est-à-dire le fait qu’il faudrait pour être juste dépassé par ses désirs ou enterrer les rêves que vend la société, qui sont tus des rêves d’actions désinhibées, aussi débiles soient-elles, la désinhibition étant supposée, mais c’est le pont de vue du diable, libérer l’individu de ses entraves.

Et cette tension que vivifie le Déni et qu’il réveille quand il se trouve mis à mal comme protection par telle ou telle situation, est le cœur même dans lequel l’intégralité des actions mises en jeu dans ces séries, est contenu.

Cette tension est « l’espace » dans lequel l’homme joue indéfiniment son destin et le « temps » dans lequel il se déploie. Il suffit de repenser à l’espace qui rapproche et sépare saint Antoine de saint Paul ermite dans le tableau de Grünewald.

L’espace, ici, est non-euclidien et le temps non-linéaire.

Mais cela ne gêne personne, car tout ce qui a lieu « sur scène », dans ces fictions donc, répond aux exigences de la raison, à ceci près donc que le cadre de cette raison est en gros dessiné sur une trame psychique « antérieure » ou au moins distincte de celle dans laquelle la raison domine ou serait censée dominer, faudrait-il dire !

L’une des vertus de ces séries consiste donc à être le champ expérimental dans lequel des mélanges apparemment inacceptables sont à la fois testés et validés. Mais c’est plus que cela. C’est un champ dans lequel la révélation, sa puissance, son efficacité, se donnent à voir, non comme un éclat unique embrassant et embrasant tout mais comme processus « vital » reconduit à chaque épisode, c’est-à-dire reconduit, si l’on rapporte cela à la vie de chacun de ceux qui regardent, chaque jour, processus qui est à lui-même son propre fond son propre déploiement, son propre espace et qui construit sa propre temporalité.

Pas besoin d’un Dieu abstrait qui interviendrait comme un deus ex machina puisqu’il est là partout tout le temps comme ce qui donne à chacun, bon ou méchant, la force d’exercer sur le fil invisible, les forces nécessaires à l’activation de cette tension entre bien et mal. C’est cette tension qui constitue le véritable visage de Dieu, dans ces films-là en tout cas. Il ne faut pas oublier de mentionner que, dans cette série, les crimes vont de l’homicide involontaire au crime en série relevant des pires perversions que l’être humain oublieux de Dieu peut inventer et réaliser...

Un autre épisode était aussi porteur, pour les serviteurs de Dieu, ici les flics du groupe de la section criminelle, d’une révélation supplémentaire.

Une flic, nouvelle dans le groupe a « menti » en parlant à des gens impliqués co-latéralement dans une enquête, elle a inventé une chose qu’elle dit avoir vécu et qui ressemble à ce que ces gens vivent, pour les inciter à parler, pour les faire parler. Elle a menti au sens où elle a énoncé des faits censés avoir été vécus par elle pour convaincre ces autres de parler. Mais son chef sait ou comprend qu’en fait elle ne les a pas vécu, ces choses dramatiques-là, mais qu’elle a simplement mis en place un stratagème de flic pour convaincre l’autre en face d’elle de parler.

Et le chef après coup la menace de la virer car elle a enfreint la règle absolue (pour les évangélistes, pour les saints ou les fous de Dieu que sont ces flics pour ces saint Georges qu’ils sont tous ?). La règle implique qu’ils ne peuvent pas, eux les flics, jamais et en aucun cas, mentir, même si cela consiste simplement à s’inventer quelques instants de « faux » vécu pour obtenir l’empathie de leur interlocuteur.

La violence de la réaction du chef et le fait qu’il le fasse devant tout le groupe montre bien leur statut : celui de porteurs de vérité (de la bonne parole) d’évangélistes donc, Évangile signifiant, on le sait, bonne nouvelle. Et qui est habité par le souci de la vérité et par les exigences que lui imposent de sa tâche, non seulement en droit pas mais ne peut pas mentir. (ce NE PAS est essentiel, c’est une inhibition poussée au maximum, c’est la clé de la « vérité », ce fameux ne pas, c’est le fondement de leur éthique et peur-être de toute éthique).

Mentir c’est trahir Dieu et l’engagement qu’on a pris vis-à-vis de lui. Mentir c’est trahir l’expérience véritable qui est équivalente à celle de Perceval et qui est le fondement même de leur engagement. Car ce n’est pas tant ou pas seulement l’action juste qui importe mais d’abord et avant tout car c’est le fondement, le non-oubli de la mission de la parole donnée de l’engagement pris en devenant un flic expert ou autre, de la promesse acceptée et que chacun de ces flics rend vivante en promettant à chaque fois de retrouver les auteurs du crime et de les traduire devant la justice des hommes qui égale en tout, du moins c’est ce qu’ils tendent à faire croire, la justice de Dieu.

Qu’importe à quoi il ressemble au fond, le sectateur de la vérité divine ne peut (se) trahir, (se) renoncer. Et l’essentiel n’est pas dans l’adjectif divin ajouté ici pour souligner la chose, l’essentiel est dans ce qui est attendu de la part de ces chrétiens de ces évangélistes du XXIe siècle. L’absolu est en eux et il doit vivre en eux. On le comprend alors : ce rapport à « la » vérité ressassé sous toutes ses formes dans légion d’autres films, séries, romans, etc... n’a rien à voir avec une « soumission » aux exigences de la raison, même si l’hyper-technologie semble être la force dominante pour discriminer le vrai et le faux, mais tout à voir avec une situation psychique de type bicaméral, en tout cas « religieuse », car la vérité à laquelle ils obéissent est la vérité sur laquelle toute foi est entée, celle qui se manifeste par l’impératif dont la manifestation du Dieu est porteuse, le Dieu intervenant directement pour qu’un OUI soit mis en œuvre, oui à Dieu du moine, oui plus apparemment banal et mieux connu, de l’un à l’autre dans l’explosion d’évidence de la reconnaissance face à soi de celui ou celle que sans le savoir on attendait depuis toujours et qui soudain est là.

Ainsi ces séries nous plongent dans ce qu’il faut appeler un creuset théologique et sont animées par des forces qui, étudiées de près, peuvent nous en apprendre beaucoup non seulement sur la survivance du bicaméralisme en nous mais sur sa réelle concrète et vivace existence en nous.

C’est pourquoi il faut être attentif à tous les niveaux et tous les types de manifestations de ce bicaméralisme et des démons ou des dieux qui l’habitent, car c’est en nous qu’ils habitent, en nous qu’ils vivent, et nous dont ils déterminent les faits et gestes.