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- Faire des Dieux VIIIPour en finir avec la conscience

,  par Hervé BERNARD dit RVB, Jean-Louis Poitevin

Pour dessiner une nouvelle carte de ce psychisme, nous ferons appel à des auteurs, qui, chacun à sa manière a su confirmer l’existence de strates inexplorées dans le champ de la pensée. Certaines œuvres de J. Jaynes, Lionel Naccache, Robert Musil, W.S. Burroughs, nous permettront de commencer à arpenter ces nouveaux territoires.

Introduction

  • Pourquoi faudrait-il en finir avec ÇA, la conscience ?
    Quelque chose ne cesse de hanter la pensée occidentale qui est à la fois comme son socle le plus « moderne », le plus récent, son sol le plus indépassable et la forme de sa loi la plus indépassable. D’un face à face avec un dieu à l’élaboration de règles pour la pensée, une instance, un mécanisme en tout point indissociable de l’entité qui le porte est à la manœuvre. Quel que soit le nom qu’on finisse par lui donner à cette entité, sujet ou moi, volonté ou entendement, elle n’existe comme telle que parce qu’elle se rapporte à elle-même. Le jeu de miroirs, brisés ou biseautés pour le moins, ne cessant jamais de réfléchir tel ou tel aspect de ce qui est, est vécu, est pensé, s’est imposé comme la marque de fabrique du sujet, son instance constitutive, son mécanisme indépassable, et le pôle de référence auquel, en dernière instance il est nécessaire de se référer si l’on veut valider quoi que ce soit, aussi bien concernant le sujet qui pense, que le monde qu’il essaye de connaître et de penser et dans lequel il essaye de s’orienter.

On appellera conscience cette instance, dont on va voir qu’elle est sensiblement plus complexe et d’autant plus apparemment indépassable qu’on élargira le spectre de ses fonctions bien au-delà du jeu infini des reflets dans le miroir à facettes qui nous sert de repère, de boussole et de radar.

En fait, parler de la conscience surtout en énonçant sans que cela soit une injonction qu’il faudrait en finir avec elle, semble immédiatement impliquer de dire pour quelles raisons, dans quel but, pour la remplacer par quoi ? Or, ce n’est pas si simple ni si clair. Alors d’où vient cette idée ? En quoi cela peut-il être un projet ? Qu’est-ce que ça peut apporter et à qui ?

  • Le point de départ
    Le point de départ de cette prise en compte de la conscience à la fois comme une donnée apparemment incontournable et indépassable et pourtant problématique, est en fait très ancien. Il remonte à l’époque où l’expression de conscience politique signifiait encore quelque chose ou du moins semblait signifier quelque chose et où surtout il semblait que le fait de prendre conscience de ceci ou de cela, problème, danger, état de fait personnel comme social, politique comme économique, dimension nouvelle d’une question, pouvait permettre de palier aux risques qui se présentaient à l’esprit à l’idée que ce problème, ce danger, cette question, puissent persister sans être pris en compte et qui sait, levés ou résolus.

Il apparut très vite, en quelques mois en fait, que la soi-disant prise de conscience de tel ou tel enjeu dans le champ politique, ne conduisait à rien d’autre qu’à lever tant d’autres questions ou problèmes que la montagne à déplacer devenant si imposant plus rien ne paraissait possible.

La conscience était implicitement reliée à l’action au passage à l’acte à la mise en place de processus de transformation de tel ou tel aspect d’une réalité, là encore individuelle ou collective, psychique, relationnelle ou sociale. La conscience était partout. Et finalement elle ne pouvait se tenir nulle part puisqu’elle était appelée partout à témoigner à agir et que rien ou si peu ne se produisait qui changeait ce que l’on désirait changer.

Cette révélation précoce de l’importance et en même temps de l’inefficacité de la conscience n’a pas permis de penser à l’époque un « dépassement » de la conscience, d’autant que, quelle que soit la direction dans laquelle on se tournait, on la retrouvait, à la fois présente et active, instance de référence et moteur de l’action, et rien ne venait, mis à part les sirènes en provenance l’inconscient, permettre de la faire descendre de son piédestal. D’autant que les sirènes de l’inconscient ne la remettaient pas en question. elles relativisaient sa puissance qui n’était plus toute puissance par décret mais qui restait l’instance de régulation incontournable.

  • Ensuite
    Bien des décennies plus tard, suite à la lecture de Jaynes, il a été possible de commencer à envisager que cette instance régulatrice puisse être repensée. Et c’est cela que signifie le « pour en finir avec la conscience », repenser les instances qui gouvernent notre psyché et notre pensée ainsi que les modalités de leur fonctionnement.

On se retrouve en 2006 où suite à la lecture du livre de Jaynes, je tente une première fois de donner forme à cette intuition que la conscience n’est plus l’instance ni la forme de référence du psychisme avec laquelle ou à partir de laquelle penser ce qui nous arrive. Bien sur cela suppose ou implique une analyse même succincte de cette situation, et là il faut renvoyer pour faire vite au travail de Bernard Stiegler. Mais surtout, cela impose de tenter de repenser à cheval sur la philosophie, la littérature, l’art et bien sûr toutes les activités qui travaillent sur la psyché, de la psychanalyse aux neuro-sciences, le fonctionnement du psychisme et pour le dire d’un mot les relations entre croire et savoir, entre connaissance et croyance, entre raison et déraison, ou pour le dire avec celui qui a le mieux positionner le nouveau partage, entre ratioïde et non ratioïde.

C’est en fait de là que l’ensemble de mes réflexions part, de la lecture, ancienne maintenant, mais qui m’a occupé des années, de l’œuvre de Robert Musil. Il est le seul écrivain qui se soit intéressé à ce qui pouvait se passer à la frontière entre éléments et phénomènes tant concrets que psychiques relevant de plein droit de la raison et ceux qui, plus essentiels peut-être encore pour les individus, relèvent des domaines dans lesquels la raison n’a pas prise ou ne permet pas de les définir. Ce qui les caractérise c’est qu’ils font l’objet d’une « expérience », c’est-à-dire de quelque chose qui est à la fois perçu, vécu, et qui dans sa forme comme dans ses manifestations dépasse littéralement l’entendement.

Ce qui se produit depuis des siècles, c’est un mouvement global dans le champ de la pensée qui a consisté à refuser droit de cité à de telles manifestations au nom de l’opposition à la religion, aux croyances.

Ce renversement de perspective a installé la raison comme faculté dominante en vue de s’orienter dans l’existence et la pensée et la conscience comme étant à la fois son opérateur, son instrument de mesure et la forme de sa légitimité paradoxalement subjective mais offrant à la subjectivité le moyen de se libérer du poids de ces manifestations intempestives dérangeantes, puisque venant rappeler l’existence de phénomènes réels et psychiques incompris. On a remisé dans le champ subjectif les croyances et les phénomènes incompris et contraint la dénommée réalité à répondre dans toutes ses manifestations aux lois de la raison.

Ces domaines qui échappent en partie à l’emprise de la raison sont ceux dans lesquels se posent tant des questions majeures, existentielles si l’on veut, concernant cependant des expériences que tout le monde peut connaître, vivre, croiser dans sa vie, comme l’amour, la passion, ou la folie, que des questions philosophiques ou induites par des mutations techniques et sociétales.

Musil est le seul ou l’un des très rares à avoir su, dès les années 20, formuler un nouveau partage ou dessiner une nouvelle frontière entre raison et non-raison, frontière qui se révélait en effet, non plus évidente et marquée d’un trait définitif séparant des zones ou des domaines inconciliables, mais floue, poreuse et progressive en quelque sorte.

En effet, il était possible de montrer que l’on pouvait passer non pas un saut radical mais pas une évolution lente et progressive d’un côté à l’autre.

Et tout l’enjeu est là reconnaître la séparation, la schize, pour mieux parvenir non pas à maintenir la séparation, mais pour permettre aux données provenant des deux côtés d’être appréhendées à l’aune de relations et de parentés qui ne soient pas articulées par la seule raison.

Bref que la définition de ce qui était rationnel ne suffisait pas à expliquer ou à rendre compte de phénomènes aussi complexes que l’accomplissement d’un crime, les pulsions sexuelles, la relation entre connaissance et croyance ou encore entre ce qu’il est possible de déterminer comme étant un acte juste dans le domaine moral ou éthique et ce qui ne l’est pas. En d’autres termes, il est difficile de qualifier d’irrationnelles des expériences qui sont en effet à la limite ou au-delà de ce qui est rationnellement crédible et pensable et qui sont pourtant vécues de manière indubitable par certaines personnes.

Il est donc bon de repasser un instant par Musil, car c’est le meilleur moyen de définir le cadre général des réflexions du séminaire de cette année.

L’écrivain autrichien a fait de cette question l’un des enjeux majeurs de son œuvre. Dans un essai de 1918, intitulé La connaissance chez l’écrivain, il proposait de parler plutôt que de rationnel et d’irrationnel, de ratioïde et de non ratioïde.

« Le domaine ratioïde englobe, délimité à grands traits, tout ce qui peut entrer dans un système scientifique, tout ce qui peut être résumé dans des lois et des règles, donc avant tout la nature physique. [...] On peut dire que le domaine ratioïde est régi par la notion de solidité. [...] En profondeur, là aussi, les assises sont chancelantes ; les fondements premiers des mathématiques ne présentent pas de certitude logique, les lois de la physique ne sont valables qu’approximativement et les astres se meuvent dans un système de coordonnées dont le lieu n’est nulle part. [...] Si le domaine ratioïde est celui de la règle avec exceptions, le domaine non ratioïde est celui où les exceptions l’emportent sur la règle. [...] Dans ce domaine (des affirmations éthiques) la compréhension de chaque jugement, le sens de chaque notion est enveloppé d’une couche d’expérience plus subtile que l’éther, d’un mélange de volonté et de non volonté personnelles variable de seconde en seconde. Les faits, dans ce domaine et par conséquent leurs relations sont infinis et incalculables. [...]. Ici de prime abord il n’y a pas de limites aux inconnues, aux équations, aux possibilités de solutions. La tâche consiste à découvrir sans cesse de nouvelles solutions de nouvelles constellations, de nouvelles variables. [...] des possibilités d’être un homme, d’inventer l’homme intérieur » [1].

Ceci concerne les expériences éthiques comme les nomme Musil, mais il va de soi que pour lui cela englobe les expériences esthétiques ou si l’on veut, artistiques, mais aussi paradoxales d’un point de vue psychique et plus globalement les expériences dites mystiques. Il s’y est intéressé de près en particulier à travers le recueil de textes compilés par le philosophe Martin Buber sous le titre de Confessions extatiques, mais aussi en lisant de très près le plus extatique des Romantique Allemands, Novalis.

En fait, cet intérêt pour ce qui échappe directement à l’emprise de la raison n’a jamais cessé. Il a pris des formes diverses au cours des siècles, des millénaires, et s’est accordé à l’évolution de ces expériences qui propulsent les individus dans des sphères ou des zones dans lesquelles la raison ne permet pas ou plus de s’orienter. Il persiste et insiste au cours des siècles et nous verrons par la suite comment cela s’est manifesté.

Socrate

Partie I :Brève histoire de la conscience

  • La conscience un enjeu philosophique
    Ce qui importe, aujourd’hui, c’est de tenter de comprendre à la fois comment la conscience s’est constituée et en quoi elle est devenue un obstacle à la compréhension de ce qui à la fois nous arrive sociétalement et individuellement. C’est-à-dire comment cette super métaphore qu’est la conscience en tant qu’elle a été collée au sujet, Moi et Je confondus, n’est plus efficace pour nous permettre de nous orienter dans le monde comme de nous comprendre nous-mêmes.

Pour cela il nous faut revenir sur ce que nous croyons savoir au sujet de la conscience et faire un très bref retour arrière sur la manière dont la philosophie a conçu et fait évolué ce que nous appelons la conscience.

Pour le dire d’un mot, ce qui caractérise pour nous la conscience, c’est qu’elle a été à la fois essentialisée, considérée comme le fondement de toutes nos perceptions et de nos connaissances et associée et finalement confondue avec le sujet à la fois acteur et destinataire de ces connaissances.

Nous avons fini par ne faire qu’une entité du je pense et du je suis. Cela vous remémore immédiatement la formule de Descartes, « je pense donc je suis ». Ce n’est là en fait qu’un moment certes important mais ce n’est pas le seul dans l’évolution et la transformation ou l’affinement de la relation entre sujet conscience et raison.

Il n’est pas question de faire un cours sur la conscience. Il est cependant nécessaire de rappeler très brièvement quelques-uns des moments majeurs de l’évolution de ce qui a permis de constituer notre conception encore actuelle de la conscience.

Elle serait pour l’essentiel le fait pour un individu d’accompagner ses connaissances relatives aux choses du monde d’une attention portée à cette entité qu’il est, et qui est l’instance qui connaît, attention qui fait de lui l’objet de cette même connaissance et le moyen par lequel, essentiellement alors d’un point de vue éthique, il pourrait appréhender ses actes, leurs motifs et donc les contrôler, et ainsi se contrôler lui-même. La conscience est cette bulle qui va de soi à soi, qui relie l’individu acteur à l’individu réfléchissant sur lui-même, se prenant donc comme objet de connaissance.

En fait les entrées sont multiples, elles commencent plus ou moins si l’on veut par le « gnothi seauton », la célèbre formule « connais-toi toi-même », qui était inscrite sur les murs du temple d’Apollon à Delphes et que Socrate utilise dans plusieurs des dialogues dans lesquels Platon le fait apparaître, en premier lieu Le Charmide, un des tous premiers dialogues, (mais aussi dans Le Philèbe, Protagoras, ou encore Les Lois).

Voici ce qu’on peut lire dans Le Charmide en 164 d : « […] J’irais presque jusqu’à dire que cette même chose, se connaître soi-même, est tempérance, d’accord en cela avec l’auteur de l’inscription de Delphes. Je m’imagine que cette inscription a été placée au fronton comme un salut du dieu aux arrivants, au lieu du salut ordinaire « réjouis-toi », comme si cette dernière formule n’était pas bonne et qu’on dût s’exhorter les uns les autres, non pas à se réjouir, mais à être sages. C’est ainsi que le dieu s’adresse à ceux qui entrent dans son temple, en des termes différents de ceux des hommes, et c’est ce que pensait, je crois, l’auteur de l’inscription à tout homme qui entre il dit en réalité : « Sois tempéré. » Mais il le dit, comme un devin, d’une façon un peu énigmatique ; car « Connais-toi toi-même » et « Sois tempéré », c’est la même chose, au dire de l’inscription et au mien. Mais on peut s’y tromper : c’est le cas, je crois, de ceux qui ont fait graver les inscriptions postérieures : « Rien de trop » et « Cautionner, c’est se ruiner. »

Chez Platon, cependant, la conscience et le sujet ne sont pas encore complètement constitués même si les bases de leur existence « légale » sont en train d’être posées.

Restons dans le champ philosophique et tentons de dessiner rapidement les divers éléments qui participent au portrait de la conscience pour la philosophie.

On doit évidemment évoquer Descartes qui dans Les Méditations établit un schéma général qui va s’imposer comme la base de la compréhension de la conscience pour toute la modernité.

« Il donne une base substantielle à la conscience en en faisant l’expérience que fait l’esprit de lui-même comme sujet au sens de substance c’est-à-dire comme réalité métaphysique fondamentale présente à l’identique dans chaque événement de la vie mentale comme son matériau dont elle est faite. Il fonde le modèle de "toute certitude ultérieure" basée donc sur le fait que l’esprit a conscience de la nature formelle d’une pensée du fait qu’elle est une pensée en général et qu’une pensée est une idée. La conscience est perception de soi puisqu’elle reconduit la vérité de l’expérience première du cogito à savoir que quoique je pense j’existe. » [2]

Ce qui apparaît donc à la conscience, pour Descartes, c’est le sujet de cette conscience. Le cogito, le je pense, révèle et assure de son existence l’ego, le je, dans son être même. La conscience est réflexive et substantielle.

Kant rendra possible en distinguant aperception et perception : « la redéfinition de l’objectivité comme ce qui est synthétisé, organisé, par les formes de pensée logique propres à l’entendement du sujet sur la base de l’affection sensible qu’il éprouve. L’expérience consciente est celle d’un sujet dont la représentation originaire doit pouvoir accompagner comme son sujet nécessaire, tout représentation d’objet. » [3]

La conscience est en quelque sorte l’interface entre sujet et objet, et la raison est ce qui assure leur nécessaire coordination.

Mais comment assurer l’unité du sujet préalablement à toute unification objectivante ? C’est que le sujet ne dispose pas de cette unité de toute éternité, il l’acquiert dans et par l’expérience consciente. L’existence du sujet de et dans la psychose par exemple fait émerger le fait qu’il peut y avoir un sujet dont l’expérience consciente ne garantit pas l’unité du sujet dans chaque expérience. Le sujet peut être différent à divers moments de son existence. Comment assurer cette unité ? La philosophie s’y emploie, Locke ou Bergson s’y attèlent à partir de la fonction qui devient centrale celle de la mémoire, la conscience devenant le moyen par lequel on s’assure entre autres choses, de la validité de ses souvenirs et la validité de ses choix.

Ainsi émerge un sujet qui doit être conçu comme responsable potentiellement de ses actes. La conscience devient conscience morale et est une sort de principe inné de justice et de vertu pour Rousseau en tout cas.

On voit pointer son nez un dieu dont la fonction va être d’aider la conscience du sujet à choisir à bien choisir puisque même s’il sent en lui-même qu’il doit bien agir il ne le peut sans intervention d’une force puissante celle de dieu en ce qu’il s’adresse à la conscience en chacun à la conscience de chacun. Luther est passé par là qui pour Reiner Schürmann en tout cas, le véritable « fondateur » de la forme de la conscience moderne, plus encore que Descartes. nous aurons l’occasion sans doute d’y revenir dans des séances prochaines.

La conscience est toujours absolument subjective. Le sujet conditionne-t-il cette conscience avec laquelle il émerge comme sujet ? N’y a-t-il pas des activité pré-subjectives existant en deçà de la distinction Sujet / Objet qui est le critère par lequel la conscience moderne fonde son existence ? On voit venir des questions sur l’existence de phénomènes psychiques échappant au contrôle de la conscience. L’inconscient apparaît comme le nom de cette base arrière, de ce domaine échappant au contrôle de la jusqu’ici toute puissante conscience.

Deux grandes branches poussent sur l’arbre de ce questionnement nouveau, celle de la psychanalyse et celle des neuro-sciences. La psychanalyse s’invente dans le giron de la conscience au sens classique du terme et elle ouvre sur des zones que cette conscience ne contrôle pas. Mais elle renvoie finalement à la puissance rectrice de la conscience en visant à rendre au sujet un certain contrôle sur sinon sur ce qui lui échappe et le constitue du moins sur la part devenue consciente de ce qu’il a pu découvrir de lui. Le sujet reste l’instance vitale et normative.

Les neurosciences, elles, se positionnent d’une tout autre manière vis-à-vis de la conscience. Elles articulent deux niveaux ou deux ordres de réalité, subjective et objective.

« On ne peut rendre compte de la conscience dans son rapport aux processus corporels qu’en déterminant la structure objective de l’expérience conscient et phénoménale. [...] Varela et Thompson parlent de neurophénoménologie. [...] L’individu, considéré comme un système dynamique en évolution permanente a deux aspects, processus neuronaux et vécus conscients, et il faut les articuler pour caractériser le phénomène de la conscience. Et l’articulation que promeut la neurophénoménologie est à la base de l’émergence de la conscience, une causalité réciproque entre le niveau du vécu conscient et celui des populations neuronales qui le sous-tendent : de la même façon que sans des processus neuronaux précis il n’y a pas de conscience (causalité montante, du local au global), de même l’effectuation consciente des tâches mentales oriente le cours des processus neuronaux jusqu’à pouvoir stopper une crise d’épilepsie - il y a donc causalité descendante (du global au local, du mental sur le physiologique. [4]

Ce qui apparaît donc après cette très brève présentation de quelques-uns des enjeux, c’est le fait que les relations duales qui nous servent encore largement de modèle implicite ou explicite d’ailleurs pour penser notre relation à ce qui nous constitue, comme la relation corps-esprit, moi-je, et tous les partages culturels qui continuent d’être activés dans notre relation au monde qui nous entoure, bien-mal, dieu-homme, existence-transcendance, trouvent de manière paradoxale une origine, ou plutôt des antécédents dans le fonctionnement neuronal même et évidemment dans la structure cérébrale proprement dite. C’est à l’examen de ces aspects singuliers qu’il faut se consacrer maintenant, ce qui nous conduira à appréhender la conscience comme un phénomène historique, mais d’abord le cerveau comme une entité au fonctionnement particulièrement inattendu.

Lionel Naccache
  • Fictions interprétations croyances (FICs)
    Dans une conférence publiée en 2013, intitulée De quoi prenons-nous conscience [5], Lionel Naccache nous offre une possibilité de mieux comprendre comment aborder la question du statut et de la fonction de la conscience aujourd’hui. Nous allons aborder les zones qui nous intéressent plus particulièrement et qui concernent les relations entre langue et invention. Au-delà des aspects neurobiologiques à proprement parler, la conscience est l’instance par laquelle nous pensons pouvoir nous assurer que notre relation à nous-mêmes, aux autres et au monde, est basée sur une forme d’objectivité et que cette objectivité est partageable.

Lionel Naccache montre non pas qu’il n’en est rien mais que la zone où une telle objectivité partageable est active est finalement extrêmement limitée et elle-même sujette à caution.

Nos représentations mentales conscientes ne sont pas seulement dues à la dynamique cérébrale des relations entre neurones, mais leur « statut est irrépressiblement interprété et support de croyance subjective » [6].

Nous plongeons d’un coup au cœur de ce qui est en jeu ici, avec cette idée un peu folle qui prend la forme de la formule assez floue et indéfinie de Faire des dieux. Et le cœur de cette aventure, c’est quoi ? Appréhender ce que j’appelle la trame imaginale, le fait que rien de ce que nous tenons pour vrai, juste, solide, définitif, n’échappe au fait d’être tissé par les mots, c’est-à-dire par ce que l’on peut appeler « la pensée du dehors », même si l’on trahit un peu Foucault parlant de Blanchot, ici, le fait que nous nous appuyons sur les mots pour étayer et rendre consistant chaque instant de notre existence. C’est la dimension interprétative de notre conscience qui est ici visée. C’est en tout cas ce que nous invite à penser Lionel Naccache, dans cette conférence, comme dans d’autres de ses ouvrages.

Des expériences faites dans les années 40 par deux chercheurs américains (Heider et Simmel) ont permis de montrer que la projection de films constitués de figures géométriques en mouvement mettant en scène des sujets humains, conduisent en quelques secondes à peine, les spectateurs à identifier les personnes et à s’identifier à eux, à leurs émotions, etc... C’est là un exemple de la fabrique de sens qui est évidemment l’œuvre des processus cognitifs du sujet.

« Bref, nous fabriquons du sens sans même le savoir ni le vouloir, et ces significations deviennent le support d’investissement de notre confiance, de notre croyance. » [7]

Ce que relève Naccache c’est que la perception d’un objet par exemple, qui disparaîtrait de notre champ visuel sans raison et qui nous verrait émettre la remarque « c’est incroyable » et donc la représentation que nous nous faisons de cet objet était « associée à une croyance forte : nous croyons ce que nous voyons. Ce matériau singulier, celui que je qualifie de "fictions interprétations croyances (FICs)” est celui dont son pétries nos pensées conscientes, celles que nous sommes capables de nous rapporter à nous -même ou autres, en particulier par des actes de langage. » [8]

Il évoque ensuite des expériences menées sur des malades d’épilepsie sévère auxquels ont a sectionné le corps calleux et dont les hémisphères ont donc été séparés, puisque le corps calleux est le pont entre les deux hémisphère la zone par laquelle passent toutes les informations circulant d’un côté à l’autre. Ils vivent alors avec un split brain, un cerveau divisé. Ils vivent non pas tout à fait comme les bicaméraux de Jaynes, car chez les hommes de la préhistoire évidemment, le corps calleux fonctionne, mais sont assez proches d’eux si l’on s’accorde à admettre la thèse de Jaynes d’une relative différence et d’une certaine autonomie entre les deux hémisphère dans les périodes qui ont précédé l’invention de la conscience.

Les expériences menées avec ces gens ayant un split brain conduisent à des résultats passionnants puisque l’on, voit à l’œuvre chez eux « des mécanismes d’interprétation fictionnelle ». En gros un des aspects majeurs des expériences consistait de demander à un hémisphère d’accomplir une tâche précise et ensuite de demander à l’autre hémisphère de fournir l’explication de ce comportement.

Et le scénario inventé par le cerveau gauche pour expliquer ce qui a été accomplit par la personne à l’initiative d’injonctions envoyées au cerveau droit est en fait une explication imaginaire. « La première couche interprétative opère ici en amont de la prise de conscience. » [9]

L’exemple est le suivant : « on montre dans le champ visuel gauche (donc pour le cerveau droit) un message bref qui dit "marchez". l’homme comprend le message sans pouvoir le lire à haute voix, ce qui serait le travail du cerveau gauche. Il se lève et sort de la pièce. Et au seuil de la porte le médecin lui demande ce qu’il fait et le patient répond avec son cerveau gauche qui a le contrôle du langage parlé alors même qu’il ignore tout de l’ordre donné au cerveau droit. Il ne peut pas répondre. Va-il le faire adopter "une attitude cartésienne et rationnelle en tenant un discours comme : je ne sais pas l’origine de comportement...? Loin de là. Il répond du tac au tac par exemple : je vais à la maison chercher du jus de fruit !" Le malade produit à son insu, une explication, une signification, et il y croit consciemment avec une conviction assez forte. Le malade étudié par Gazzaniga produit un sens fictif à ce qui lui arrive. » [10]

Bien direz-vous, nous nous n’avons pas un cerveau divisé, nous sommes « normaux » et notre appréhension de la réalité est tout à fait conforme à ce que nous indique la raison. Or, d’une part nous sommes ou nos cerveaux sont toujours divisés, même s’ils sont en relation constante et directe par le corps calleux, et d’autre part nous ne cessons de « fictionner » . Les FICs se déploient aussi dans les cerveaux non divisés car notre fonctionnement conscient est associé pour ne pas dire dépendant des mécanismes qui aboutissent à ces FICs. Leur identification est seulement plus difficile.

Après avoir présenté et analysé le syndrome de Capgras ou délire des sosies - délire qui fait que quelqu’un qui a un cerveau endommagé dans la partie permettant de reconnaître les cadres de familiarité mais pas la partie permettant de reconnaître les visages se met à prendre des gens qu’il connaît pour des sosies de la personne connue - Lionel Naccache présente une analyse plus générale sur les FICs, c’est-à-dire que le fonctionnement cérébral conscience de chacun de nous à partir du délire des sosies.

Et ce développement commence ainsi : « Au commencement était la dissociation... » (Op. cit., p. 30) C’est qu’en effet, la dissociation ou la perte de connexion entre deux aires servant à reconnaître et le visage et la personne, ne peut pas être conscience. mais comment le patient qui n’est pas l’agent de cette dissociation l’interprète-t-il ? Il est conscient de connaître ce visage et pourtant il ne lui est plus familier. cela ne va pas l’empêcher de « construire une signification à partir de ces informations conflictuelles inhabituelles » [11]

Nous avons affaire à un objet mental inconscient mais interprété. Il y a donc deux niveaux celui de l’attribution d’une signification ou du sens et celui de la prise de conscience qui se produit après ou après coup ! ou peut-être presque en même temps.

« Cette capacité à produire des interprétations inconscientes faisant usage d’informations différentes correspond déjà à une forme d’intégration et il me semble possible qu’elle puisse correspondre à une classe de phénomènes mentaux qui s’ils sont non conscients dépendent étroitement de la conscience : l’utilisation de certaines propriétés de l’architecture fonctionnelle cérébrale de la conscience par des processus non conscients. » [12]

Il y a donc un ou des interprétations initiales qui sont antérieures au fonctionnement conscient et qui sont donc à la fois le signe qu’on interprète AVANT et donc qu’on dispose « d’une sorte de croyance d’emblée, sans effort ni agentivité consciente du sujet. » [13]

On se retrouve face à des questions et des enjeux essentiels. Que se passe-t-il en amont donc ? Une pluralité de possibilités sont présentes et finissent par être triées.

« La singularité de la conscience qui est un processus lent, sériel, limité en capacité contraste avec la multiplicité des processus non conscients parallèles, rapides, évanescents et de capacité de traitement bien plus riche... la psychologie expérimentale laisse supposer que La prise de conscience s’accompagne d’une réduction massive des hypothèses alternatives, d’une inhibition majeur de toutes ces autres représentations. » [14]

Les processus qui sont à l’œuvre lors de la prise de conscience s’inscrivent donc comme le montre l’exemple du syndrome du sosie en nous comme des éléments sur lesquels on ne peut pas revenir. Ils sont donc déjà conscients au sens où ils font partie intégrante de la conscience.

Donc la question qui se pose pour les sujets normaux est la suivante : qu’est-ce que nous allons « tenir pour vrai » ?

Lionel Naccache appelle cela « la dynamique narrative subjective qui est un processus actif et donc faillible. On peut envisager cette narrativité de FICs comme un processus de révision éditoriale qui se joue à travers la prise de conscience de matériaux interprétés, la capacité à critiquer ces interprétations, voire les récuser, afin de les faire évoluer ou de leur substituer d’autres significations et d’autres croyances. On peut s’interroger sur ce qui est véritablement conscient ici ? L’évaluation, le rejet, la révision, la génération de nouvelles interprétations ? » [15]

On a affaire à deux plateaux, à deux dimensions, à deux modes de fonctionnement, à deux vitesses, à deux mouvements à travers lesquels s’échangent et se partagent les informations entre aspects non conscients et aspects conscients.

« Il ressortirait ainsi de cette dynamique des FICs un dialogue entre des aspects conscients et non conscients de notre activité mentale : rapidité, parallélisme et "créativité" abductive inconscients en relation avec la sérialité lente et déductive de la conscience. » [16]

Ce que veut donc Lionel Naccache, c’est « rappeler à chacun d’entre nous l’omniprésence des FICs dans notre vie mentale consciente. » [17]. Il termine sa conférence en constatant que comme le disait Paul Valéry « la conscience règne mais ne gouverne pas » [18] et que « Nous sommes les interprètes du réel et non ses porte-voix, tant le patient souffrant du délire des sosies que chacun d’entre nous dans l’appréhension consciente de ce qui nous arrive. » [19]

Pourquoi tout ce chemin avec Lionel Naccache ? C’est un des rares textes que je connaisse qui présente avec une telle clarté les enjeux qui sont les nôtres, c’est-à-dire qui nous offre des éléments pour analyser ce qui se produit dans notre psychisme.

Il nous reste deux étapes sur le chemin qui va nous conduire à l’examen de textes d’écrivains, de philosophes, de théologiens, pour lesquels la conscience au sens traditionnel du terme est « dépassée » voire même qui l’ignorent, ce qui ne les empêche ni d’écrire, ni de penser évidemment, mais qui peuvent précisément nous accompagner sur ce chemin qui doit nous conduire à donner à l’expression « faire des dieux » une consistance telle qu’elle ne paraît ni incongrue ni absurde, mais au contraire tout à fait clairement constituer l’un des enjeux majeurs de et dans la création aujourd’hui, qu’elle soit littéraire, philosophique ou autre.

Julian Jaynes
  • Historicité de la conscience et plasticité du cerveau : la thèse de Julian Jaynes
    Souvent évoqué mais pas si souvent convoqué, c’est donc Julian Jaynes et le début de son livre, La naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit bicaméral (Ed Fage, 2021) qu’il importe ici de présenter à la fois brièvement et en même temps consciencieusement, car nous faisons face avec sa thèse globale à une autre approche de la conscience qui est très proche de celle de Naccache et d’autres, quoiqu’elle soit produite dans un autre champ que la neurobiologie, celui de l’anthropologie et de l’histoire des croyances humaines.

Qu’est-ce qui importe dans l’approche de Jaynes ? Le fait suivant : qu’il est le seul du moins sous cette forme si synthétique, à appréhender la conscience comme un phénomène historique et non comme une donnée structurellement indépassable du fonctionnement psychique humain. Que veut dire ici phénomène historique ?

Qu’il y a eu des structures psychiques chez les humains qui n’étaient pas basées sur le primat de la conscience, et donc que la conscience s’est constituée à travers les siècles comme une réponse à des modifications profondes de certains aspects de l’existence humaine autour de la méditerranée en tout cas, drames liés à la tectoniques des plaques avec l’effondrement de Santorin et sans doute d’autres tremblements de terre associés à des tsunamis puissants qui ont pu avoir lieu à la fin du néolithique et qui ont ravagé parfois sur de grandes distances dans les terres toute vie humaine sur d’importantes zones, des mutations dans les croyances possibles ou acceptables face à celles qui se sont effondrées suite à ces phénomènes et à la recomposition des activités que cela a pu impliquer, comme à divers aspects historiques.

Mais une chose essentielle a permis la naissance de la conscience sur les ruines de ce que Jaynes appelle l’esprit bicaméral, c’est l’écriture. Mais tout cela vous pouvez le lire dans son livre.

Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est de comprendre comment il présente la conscience à la fois pour ce qu’elle peut être et comme phénomène ayant donc eu une genèse et pouvant donc avoir une fin ou du moins être partiellement ou totalement transformée et comment à travers son analyse de l’esprit bicaméral, on peut appréhender la survivance d’éléments de type bicaméraux dans le fonctionnement cérébral d’aujourd’hui.

Car le cerveau est « plastique », il ne cesse d’évoluer de se transformer et c’est implicitement de là que part Jaynes, de cette capacité d’adaptation des humains et des possibilités qu’offre pour faire face aux transformations qu’il a vécues, la plasticité de ses organes de son cerveau en particulier. En nous permettant d’approcher les mondes et les hommes qui nous précèdent, nos ancêtre préhistoriques, les plus proches de nous ceux qui existaient à l’époque de l’Iliade ou un peu avant et un peu après, Jaynes nous ouvre la porte à une compréhension renouvelée de nos capacités actuelles et aux possibilités qui s’offrent à nous d’agir dans la mutation dans laquelle nous sommes entrainés. La conscience pour Jaynes est le résultat de l’adaptation des hommes à l’effondrement de l’esprit bicaméral.

Mais qu’est donc pour lui la conscience ? Il faut rappeler ici en quelques mots comment Jaynes conçoit la conscience.

  • Conscience et langage : la fonction de la métaphore
    Jaynes montre que la conscience en fait n’a pu se développer que grâce au langage et à l’invention de l’écriture et il propose une conception de la métaphore comme mécanisme incontournable et premier dans la formation et le fonctionnement de la conscience. C’est un peu « technique » mais cela doit être présenté en détail car c’est sans doute là que se formule la partie essentielle pour nous, de ce qui et important chez Jaynes, puisqu’il tente de décrire le fonctionnement de notre esprit, et la ou les manières dont ne cessons d’inventer le monde à mesure que nous l’analysons. Et surtout, il nous offre une explication globale de la manière dont l’invention de la conscience s’est accomplie.

Le cœur de l’invention langagière et donc de la conscience est pour Jaynes la métaphore. Elle met en œuvre une double articulation entre connu et inconnu ou moins connu, c’est le travail de la métaphore et entre possibilité mentale et donc cerveau et monde qui environne les hommes, c’est la relation d’analogie (mieux que réalité et bien mieux que réel qui tous laissent croire que cela existe réalité et réel alors que ces mots sont eux-mêmes des métaphores de métaphores).

Elle est, dit-il, « le sol même qui constitue la langage. J’utilise ici la métaphore dans son sens le plus général : l’utilisation d’un terme désignant une chose pour en décrire une autre à cause d’une sorte de similitude entre elle ou de leur rapport à d’autres choses. Il y a donc toujours deux termes dans la métaphore, la chose à décrire que j’appellerai le métaphrande et la chose ou le rapport utilisé pour l’élucider, que j’appellerai le métapheur. Une métaphore est toujours un métapheur connu s’appliquant à un métaphrandre moins connu. »(Op. cit., p. 63-64) en découle une chose essentielle : « toutes ces métaphores concrètes augmentent énormément nos pouvoirs de perception du monde qui nous entoure et de la compréhension que nous en avons et créent littéralement de nouveaux objets. la langue est bien un organe de perception et pas seulement un moyen de communication. » [20]

Le mouvement global va donc du concret vers l’abstrait et cela y compris dans les champs aussi divers que l’amour ou les sciences par exemple.

« Le lexique du langage est donc un ensemble fini de termes qui par le biais de la métaphore, peut s’étendre sur un ensemble infini de situations allant même jusqu’à en créer de nouvelles. » [21]

Jaynes étend encore la dimension active de la métaphore en montrant que ce que nous nommons compréhension fonctionne comme la métaphore comme une métaphore.

« Une théorie est le rapport qu’un modèle a avec les choses qu’il est censé représenter. [...] Un modèle n’est ni vrai ni faux ; c’est seulement la théorie de sa ressemblance avec ce qu’il représente qui l’est. Une théorie est donc une métaphore entre un modèle et des données. Et comprendre en science, c’est avoir cette impression de similitude entre des données compliquées et un modèle familier. » [22]

Ce rapport d’analogie est engendré par la chose qu’elle représente. on construit à partir du déjà et bien connu pour approcher et appréhender le moins connu. C’est la relation entre carte et territoire. Jaynes peut alors dire que « ce rapport entre la carte analogue et le terrain s’appelle une métaphore. » [23]

Ceci semble nous éloigner de la conscience et pourtant non, nous nous rapprochons de la compréhension de ce qu’est la conscience pour Jaynes en tout cas. Hé bien c’est simple : « L’esprit conscient subjectif est l’analogie de ce qu’on appelle le monde réel. » En d’autres termes « l’espace mental est une métaphore de l’espace réel. »

Et Jaynes en inventant les deux termes associés à métaphrande et parapheur, invente les termes de métapheur et paraphrande et entreprend de décrire la manière dont cela fonctionne à l’intérieur de la grande mécanique des métaphores qui s’active dans note cerveau et ainsi constitue notre esprit conscient. Il cerne ainsi le mouvement de va-et-vient, de tissage, qui se joue entre les mots dans la langue, en comprenant qu’il y a plus que métaphrande et paraphreur dans le fonctionnement de la métaphore, il y a la cohorte d’adjectifs qui partant de l’un pour dire l’autre, reviennent à leur point de départ et l’enrichissent et deviennent eux-mêmes le point de départ de nouvelles associations métaphoriques inversant les rôles faisant passer un métaphrande au statut de parapheur et inversement, au point que la langue devient alors en plus d’un instrument de perception, un instrument d’invention d’éléments verbaux, images, notions concepts. L’invention se fait par éloignement de la source même des métaphores qui sont liées à la situation de l’homme sur terre et qui finissent par constituer une sorte d’humus non directement connecté à la réalité tout en acquérant une valeur de réalité, une consistance suffisante pour être reçu par l’esprit conscient comme susceptible d’être tenus pour vrai, d’être crus.

Cherchons a comprendre comment cela marche au sujet des métaphores de l’esprit. on essaye de résoudre un problème et on trouve la solution n nous disant que nous « voyons » la réponse. c’est là une métaphore. l’analyser conduit à ceci :

« Le métaphrande, c’est la découverte de la solution : le métapheur, c’est ce qu’on voit ; et les parapheurs sont toutes les choses associées à cette vision qui ensuite créent les paraphrandes, comme "l’oeil de l’esprit", "la vision claire de la solution", et, chose importante ; le paraphrande d’un "espace" dans lequel a lieu la vision, c’est-à-dire ce que j’appelle l’espace mental, et des "objets" à "voir. » [24]

Pour Jaynes donc, « La conscience est le travail de la métaphore lexicale qui de plus continue à s’engendrer elle-même ; chaque nouveau paraphrande étant capable d’être une métaphrande à part entière, donnant lieu à de nouveaux métpaheurs et à ses parapheurs et ainsi de suite... Une propriété essentielle de l’analogie c’est que la façon dont elle est créée n’est pas la façon dont on l’utilise, c’est évident. Le cartographe et l’utilisateur de la carte font deux choses différentes. Pour le cartographe le métaphrande est la feuille de papier blanc sur laquelle il travaille avec le métapheur du terrain qu’il connaît et dont il a fait l’étude. Mais pour l’utilisateur, c’est exactement le contraire. le terrain est inconnu ; c’est le terrain qui est le métaphrande, alors que le métapheur c’est la carte qu’il utilise et grâce à laquelle il comprend le terrain.

Il en est de même pour la conscience. La conscience est le métaphrande, quand il est créé par les parphrandes de nos expressions verbales. Mais le fonctionnement de la conscience, c’est, en quelque sorte le voyage de retour. La conscience devient le métapheur riche de notre expérience passée, qui opère une sélection constante sur ces inconnues que sont nos actions futures, nos décisions, nos souvenirs partiels du passé, sur ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas encore. Et c’est par la structure de la conscience créée que nous comprenons ensuite le monde. » [25]

Jill Bolte Taylor
  • Caractéristiques de la conscience
    La conscience, constituée au terme de la mise en place des divers éléments qui la composent, se caractérise par six aspects qui font d’elle un dispositif complexe assurant à la fois le fonctionnement interne à l’individu et les relations entre l’individu et la réalité qui est à la fois perçue, modelée et définie par ce dispositif et les mécanismes qui le gouvernent.

Voici les six aspects qui déterminent l’existence de la conscience qui pour Jaynes est une opération plus qu’une chose, un réceptacle ou une fonction. Elle est action. Voyons comment se présentent et s’articulent ces six aspects la composant.

« La spatialisation consiste à faire en sorte que les choses qui n’ont pas de consistance spatiale en aient une dans la conscience
L’extraction consiste à faire des choix en permanence dans l’ensemble des attitudes possibles face à une chose, les extraits ne sont pas les choses mêmes et nous faisons comme si ils l’étaient. Mais c’est un processus distinct de la mémoire.
Le Je analogue est la métaphore que nous avons de nous-mêmes qui peut faire des choses que nous ne faisons pas réellement.
Le Moi métaphorique qui est ce par quoi nous nous percevons en train de faire quelque chose et à quoi en général on réduit la conscience.
La narratisation est le fait d’associer un fait isolé à un autre fait isolé, en un récit qui tente de nous permettre de comprendre le pourquoi de nos gestes.
La conciliation ou reconnaissance, est un phénomène commun à tous les mammifères par lequel on assimile les choses nouvelles en les assemblant sous la forme d’objets reconnaissables. »

Nous pouvons remarquer à la fois la complexité de la conscience et le fait que certains de ces processus s’accomplissent en fait en dehors de ce que nous pouvons contrôler, comme on l’a vu déjà avec Naccache et que ce que nous pouvons contrôler est en fait infime par rapport à tout ce qui est exigé de notre cerveau et accompli par lui pour que nous existions.

Ce qui va retenir notre attention, c’est en particulier la narratisation, car c’est sans doute la partie de la conscience que nous pouvons appréhender le plus facilement même si comme nous l’avons vu les processus à l’œuvre nous échappent pour l’essentiel. Mais c’est bien ce qui nous caractérise, nous les humains non seulement le fait que nous ayons une langue que nous parlions mais le fait que nous ne cessions de raconter, de nous raconter, d’inventer, de fictionner, bref de narratiser.

Jaynes ajoute dans le passage consacré à la narratisation ceci : « ce n’est pas seulement notre propre "je" analogue que nous narratisons ; c’est tout ce qu’il y a d’autre dans la conscience. Un fait isolé est associé à un autre fait isolé dans le récit. Un chat est monté dans un arbre et nous créons l’image d’un chien qu l’a poursuivi jusque-là. Ou bien nous assemblons les faits mentaux tels que nous les comprenons au sein d’une théorie de la conscience. » (Op. cit. p. 81)

Robert Musil

II Voyage au cœur de la machine à raconter

  • La « fin » de la conscience et la possibilité de faire des dieux
    Il était important au moins une fois de nous faire « prendre conscience » de ce qu’est notre conscience et comment en fait nous ne sommes que des FICs, des fictions inventions croyances !

Mais c’est aussi ça qui nous réunit puisque ces FICs, c’est aussi la source à laquelle chacun pioche pour construire son monde. Et quand ce monde est un monde de création, qu’elle soit plastique littéraire ou autre, alors nous nous devons en quelque sorte de pouvoir nous situer et tous ces éléments comme on va le voir vont nous permettre à la fois de positionner un certain nombres d’œuvres et de réflexions sur la carte du XXe et XXIe siècle. Ils vont surtout nous permettre de tenter de comprendre ce qui a pu motiver tel ou tel individu, mais aussi de distinguer entre des œuvres, celles qui seront liées encore et toujours et uniquement à la conscience et celles qui auront pris leur parti du piège qu’elle a fini par constituer pour tenter d’inventer des fonctionnements artistiques nouveaux. Ils seront en particulier basés sur des fonctionnement mentaux et psychiques comme sur des expériences vécues échappant au cadre fonctionnel dans lequel notre croyance en l’éternité substantielle de la conscience et de l’omnipotence de la raison nous retient. Car maintenant, c’est bien de cela qu’il s’agit, de sauter non seulement jusqu’à aujourd’hui mais aussi de prendre un peu de distance par rapport à cette conscience.

Nous avons compris quel était le mode d’action continuée par lequel nous ne cessons de construire le monde dans lequel nous vivons. Et ce monde a, pour le moins, changé rapidement ces dernières décennies. Nous nous situons à l’endroit et au moment où cette mutation a lieu et c’est pourquoi nous sommes si durement affectés par ces changements, car ce dont nous nous apercevons, c’est que les critères qui permettent à la conscience de nous aider à nous orienter dans le monde, de l’évaluer et d’y exister comme individus, comme sujets, comme personnes, ces critères sont en train de s’effondrer.

Nous vivons peut-être une crise qui sous certains aspects ressemble mais en plus concentrée en plus rapide à celle qui a conduit de l’homme bicaméral à l’homme conscient. Nous vivons des drames liés aux déploiement de forces incommensurables de la « nature », à celles déployées dans l’histoire, aux technologies, bref à nos inventions et nous voyons ceux qui nous gouvernent ne pas parvenir à contrôler le monde qu’ils dirigent. Nous sommes en train de voir venir fondre sur nous la vague de feed back de ce qui dans le fonctionnement normal de notre conscience a conduit à cette aberration qu’est la société dans laquelle nous vivons. Et nous sentons bien que cela ne peut plus durer, mais nous ne savons pas quoi faire.

Essayons donc à la fois de mieux comprendre ce qui nous arrive et dans le même mouvement, d’inventer des choses mêmes apparemment minimes ou apparemment mineures, de « faire des dieux », ou pour parler encore dans la langue de Bernard Stiegler d’inventer des situations néguantropiques.

Laissons nous emporter par un double mouvement, d’une part d’analyse et d’autre part de synthèse et aussi de lancé de dés, non pas par dépit mais pour offrir un instant de plus, un suspens de plus au jeu du monde.

La prochaine séance permettra de poursuivre le travail double d’analyse d’œuvres, de repérage des moments où déjà la poussée contre le mur de la conscience a abouti à des percées, et à la présentation d’éléments pouvant ouvrir sur de nouvelles manières de penser.

Aujourd’hui, il importe de poursuivre une sorte de mise en place des enjeux. En effet, penser la machine à raconter implique de :

 déployer les liens entre narration et conscience,
 élaborer une réflexion sur la langue,
 situer les lignes de fracture essentielles ou lignes de schize qui traversent le champ narratif,
 explorer des œuvres dont le propos et l’écriture les projettent par-delà la conscience.

  • Petite théorie du récit
    Dans un livre ancien désormais, consacré à l’œuvre de Robert Musil, paru en 1996, intitulé La cuisson de l’homme, j’ai tenté de définir les points essentiels qui me semblaient alors et me semblent encore aujourd’hui permettre de déterminer les éléments par lesquels les écrivains ont « incarnés » la place et le rôle de la conscience dans le champ de l’écriture et de la pensée.

Musil en effet avait largement compris les limites d’une certaine rationalité narrative ou plus exactement des liens entre une raison qui se voulait dominante et maîtresse du monde, des affects peu ou mal contrôlables, et des forces psychiques mais aussi « cosmiques » capables de nous projeter dans des zones échappant à leurs prérogatives, c’est-à-dire donc d’inventer quelque chose qui, en termes musiliens, pourrait s’intituler une autre manière de penser.

Musil a mis en place une double stratégie pour endiguer et sauter par dessus le piège de la narration :

 lutter contre l’omnipotence du moi ou du je en inventant un personnage dégagé, autant qu’il est possible, des pièges que ne cesse de nous tendre le miroir à facettes de la reconnaissance.
 inclure dans la structure narrative la pratique et le type d’écriture propres à l’essai afin de désenclaver l’écriture de sa dépendance à l’histoire avec ou sans H.

Et c’est ce travail inlassable mené pendant des décennies qui va le conduire à se retrouver dans un zone échappant à la pesanteur dans laquelle il va déployer une écriture des positions relationnelles et des relations au monde d’un nouveau genre.

Gustav Klimt — Le baiser
  • Moi et Je
    Nous n’allons pas nous apesantir sur la question du moi et du je que nous retrouverons d’ici peu avec Burroughs. La lecture d’un passage tiré des journaux de Musil suffira à montrer quelle était son intention.

« Je » dans ce livre ne désignera ni l’auteur ni un personnage de son invention, mais une combinaison variable de l’un et l’autre... » [26]

Nous ne développerons pas ici plus avant puisque allons privilégier la question de la narration et des formes narratives à travers lesquelles la conscience s’est incrustée dans le champ romanesque.

  • Structure narrative et conscience
    Une fois n’est pas coutume je vais tout simplement présenter un passage de ce livre qui tient en une page.

Dans la cinquième partie du livre, La cuisson de l’homme, intitulée « Petite théorie du récit », j’ai en effet tenté de synthétiser ce qui me semblait pouvoir permettre de dessiner la carte des pôles à travers lesquels la structure de la narrativité de la conscience s’incarnait. Il va de soi qu’à l’époque je n’avais pas lu Jaynes, mais avais déjà appréhendé la conscience comme élément majeur non seulement à questionner mais à « dépasser » ! Il apparaît que cela a pris du temps pour parvenir à quelque chose !!!

La question centrale pour Musil est la suivante, qu’est-il possible de raconter qui ne soit pas la répétition ou la reprise du schéma général des récits ? Pour pouvoir le faire il faut donc élaborer une théorie générale du récit. C’est ce qu’il fait, non en écrivant un essai sur le sujet mais en ce qu’il identifie les points majeurs auxquels il faut se confronter et auxquels il faut tenter d’échapper en inventant des formes nouvelles. On a vu la position de Musil et la manière qu’il a de contourner la relation obsessionnelle MOI/JE animant aujourd’hui encore la quasi totalité des écrivains.

On a eu un bref aperçu de sa réflexion sur la relation entre histoire et récit qui l’a conduit à inventer une narration incluant l’essai comme l’un de ses paramètres incontournables permettant d’éviter le piège de la répétition et de produire une analyse fine du monde à l’intérieur d’un récit porté par des personnages incarnant chacun un aspect de l’état du monde et non une personnalité aux contours attendus.

Il importe ici de présenter la petite théorie du récit produite alors, car elle est donc une tentative de synthèse de la trame permettant à des consciences de s’affronter dans le champ d’un récit.

Il a été possible de dégager quatre points, quatre aspects, ou si l’on veut quatre étapes, mot à entendre non pas dans son sens linéaire mais en son sens « initiatique », permettant à un récit et donc à l’auteur qui les manipule en grande partie à son insu, de trouver sa place dans la grande famille des récits faits par une conscience pour des consciences, c’est-à-dire promouvant un ordre de type ratioïde en laissant de côté les aspects non ratioïdes ou du moins en ne les incluant que dans le champ délimité par une forme de raison « commune » et qui n’est que la manière dont l’époque de la conscience se légitime à ses propres yeux.

Ces quatre points sont les suivants :
 Une place à prendre,
 Une boîte noire,
 Une différence de potentiel,
 Une histoire d’amour.

Le plus simple est donc de se reporter à la page 198 de La cuisson de l’homme qui les présente en détail.

  • Le verbe et l’extase : une réflexion vitale sur la langue
    L’homme est donc cet être qui rencontre l’extase à la fois comme une dimension inaccessible de son existence et comme un phénomène lié à une force pourtant active et présente en lui. À la question de savoir comment accéder à cette promesse en nous d’un monde à la fois un et infini, infiniment actuel et définitivement indépassable, on peut répondre par un geste, celui de la prise de drogue. Ce geste, doit être vécu comme possible mentalement, la prise de drogue en constituant l’actualisation.

Mais ce geste reste individuel et si l’on connaît des rituels de prise de drogue en groupe, il n’en reste pas moins que l’expérience comme toute expérience ne peut être partagée qu’indirectement ou, si l’on veut, ne peut qu’être traduite dans une langue qui n’est plus celle du vécu mais celle du langage servant à la transmission. Cela peut être la musique, la danse, l’image, le dessin ou encore les mots, l’écriture, ou si l’on préfère le verbe.

Quelque chose pourtant vient à nous dans l’extase, un besoin de partager cette expérience et la découverte de l’impossibilité réelle, une impossibilité absolue d’un tel partage, sinon à ce que l’autre fasse lui-même des expériences similaires.

Pourtant, il existe un nombre non négligeable d’écrits, non pas seulement sur la drogue ou l’alcool, comme les mémoires de De Quincey ou Les paradis artificiels de Baudelaire, mais écrits à partir de la drogue ou de l’alcool, des livres dont l’alcool ou la drogue sont donc moins le sujet qu’ils ne constituent l’élément moteur.

Ces livres écrits par des auteurs alcooliques ou drogués mais dont le sujet n’est pas l’alcool ou la drogue sont nombreux et comptent pour certains parmi les grands livre de l’histoire de la littérature.

Au-dessous du volcan de Malcom Lowry, Le ravissement de Lol. V. Stein, de Marguerite Duras, Le festin nu de Burroughs, mais aussi les romans de Faulkner ou d’Hemingway pour n’en citer que quelques-uns, tous ces livres nous rappellent qu’il existe entre addiction et écriture, entre addiction et création donc, une relation ambiguë mais forte, pour ne pas dire une forme de complémentarité.

En effet, ceux qui sont passés par l’addiction sont, on l’a vu, plongés au cœur même du cyclone pour ne pas dire qu’ils habitent, près du centre du maelström, celui qui tourne en chacun de nous et qui se nomme la langue.

La langue n’est pas cet instrument qui croit-on parfois permet aux humains de communiquer, mais bien quelque chose d’autre, outre un organe de perception : le vecteur, l’opérateur et le signe d’une extase.

Peter Sloterdijk dans ce texte qui fit polémique en son temps, Règles pour le parc humain, a indiqué ce qu’il en était de cette relation entre extase, être humain, dans les deux sens du terme, et langage.

« S’il existe un motif philosophique de tenir un discours sur la dignité de l’être humain, cela tient au fait que l’être humain est justement celui qui est interpellé par l’être soi-même, et, comme Heidegger aime à le dire en philosophe pastoral, celui qui est chargé d’en assurer la garde. C’est la raison pour laquelle les humains ont le langage – mais selon Heidegger, ils ne le possèdent pas en premier lieu dans le seul but de s’entendre les uns avec les autres et de se domestiquer les uns les autres dans ces ententes-là. « Le langage est plutôt, au contraire, la maison de l’être, où l’homme, en y habitant, ex-iste, dans la mesure où, en la gardant, il appartient à la vérité de l’être.

Ainsi, lorsqu’on définit l’humanité de l’homme comme l’ex-istence, il s’agit du fait que ce n’est pas l’homme qui est l’essentiel, mais l’être comme dimension de l’ex- tatique de l’ex- istence » [27].

Dans le livre qui suivit, Peter Sloterdijk précisa ce qu’il fallait entendre par clairière, terme clé de la pensée heideggerienne et qui est peut-être un des noms de l’extase.

« La réalité n’est pas que l’homme sort dans une clairière qui paraît l’attendre. La réalité est justement celle-ci : quelque chose de préhumain devient humain ; quelque chose de prémondial devient constituant du monde, quelque chose d’animal, fermé par les sensations, devient extatique, sensible à la totalité et compétent face à la vérité : seul cela produit la clairière elle-même. » [28]

La langue ou si l’on veut le langage, est à la fois ce par quoi la clairière s’avance « en » l’homme, ce par quoi elle se constitue comme vide central qu’il remplira parce qu’il nomme son intériorité, ce qui permet d’en dessiner les contours et ce qui, creusant ce vide au moyen des mots, va servir en même temps à recouvrir ce vide, à adoucir l’angoisse inévitable dont cette extase est aussi porteuse.

La langue est en nous la trame insécable d’une extase, sinon de l’extase. La langue est en nous comme une drogue à la fois indispensable et indécelable, celle sans laquelle, en effet, aucune autre ne pourrait exister, ne pourrait avoir de fonction, si l’on s’accorde à voir dans ce qui rend leur usage inévitable à certains, la tentative de faire l’expérience de ce vide sans recourir aux mots.

L’usage de la drogue permet de s’opposer à ce recouvrement mensonger et trompeur dont la langue est porteuse mais aussi de fuir cette puissance extatique dont les mots sont porteurs. Et parfois, chez certains de ceux que nous avons nommés, il devient évident que les mots, la puissance de trouble de la langue sont reconnus comme égaux voire supérieurs à la puissance extatique de la drogue ou de l’alcool.

Alors, ils écrivent mais le font non pas à partir de la croyance en la vertu communicante des mots ou de la langue, mais bien à partir de sa vertu déstructurante, troublante, enivrante, à partir de sa puissance pure de nous faire sortir du chaos et de nous conduire à l’extase.

Écrire, et sans doute aussi tout simplement parler, est la pratique humaine extatique par excellence et si cela est juste, alors, à ce titre, nous sommes tous drogués, sans le savoir, mais pas tout à fait sans pouvoir le savoir.

Dans un chapitre posthume de son grand roman resté, pour cause d’extase scripturale prolongée pendant plus de vingt ans, Robert Musil, à travers Ulrich son personne principal, évoque avec une grande précisions les formes de l’extase.

« Un comportement entièrement soumis à un sentiment unique, tel qu’il l’avait mentionné à l’occasion était déjà un comportement extatique […] une autre extase à laquelle il avait fait allusion déjà, c’était celle des degrés extrêmes d’un sentiment. [...] Ulrich avait noté enfin qu’une vision du monde d’essence extatique naît aussi lorsque le sentiment et les idées qui sont à son service passent avant la réflexion objective : c’est la vision du monde sentimentale, exaltée, la vie enthousiaste qui a parfois existé dans la littérature et probablement aussi au moins partiellement dans la réalité, au sein de communautés plus ou moins importante. À cette énumération ne manquait donc que ce qui importait le plus à Ulrich, la mention de l’unique état de l’âme et du monde qu’il tînt pour une extase comparable à la réalité. » [29].

Ainsi se dit presque en passant à la fois que la littérature est une des formes de l’extase et que l’extase unique, absolue, centrale incontournable n’est autre que l’existence même, mais sans doute en tant qu’elle se parle, cette existence.

Nous ne nous sommes pas éloignés de la question de la drogue et de ses effets, nous avons simplement parcouru un chemin qui permet d’appréhender ce qui, au-delà des questions morales ou médicales, légitime le recours à des expédients : se rapprocher de l’extase, vivre l’extase, vivre dans l’extase, accéder à ce savoir suprême qui est que l’existence, dans sa simplicité même, est la seule et unique extase. La manière dont les humains s’inscrivent et s’imbriquent les uns les autres dans l’existence éloigne souvent de manière irréversible de la saisie, angoissante sans doute, mais combien fascinante et jouissive, de l’expérience de l’extase.

Toute littérature, c’est-à-dire ici sans forcer le trait toute grande littérature implique de la part de celui qui la pratique une forme de conscience explicite de cette dimension non dite de la langue, du fait qu’elle est pourvoyeuse d’extases.

« Nous sommes là cinq minutes et voilà que nous dévorons des siècles. Vous êtes le tamis à travers lequel se décante mon anarchie, à travers lequel elle se résout en mots. Derrière le mot, se trouve le chaos. Chaque mot est une raie, une barre, mais il n’y a pas et il n’y aura jamais assez de barres pour faire la grille. [30].

Mais à quoi bon des poètes si, finalement, la seule réalité constitue la forme unique de l’extase ? Les drogués, ceux qui cherchent et trouvent le chemin qui permet de vivre au moins une fois comme un dieu, sont-ils ces poètes ? C’est en tout cas ce que sont les écrivains, les grands, des poètes de ce type-là.

Mais ce qu’ils savent, ce que les plus grands savent, c’est bien que la véritable extase peut et doit se passer de mot puisque la langue ne peut servir à communiquer quoi que ce soit, surtout si l’on s’en tient à cette proposition finale selon laquelle c’est la réalité même, l’expérience de la réalité, autrement dit la vie, qui est la seule véritable forme d’extase.

William S. Burroughs
  • Lignes de schize et champ narratif
    Qu’entendre par ligne de schize ? Une zone à la fois psychique et narrative dans laquelle peut se jouer quelque chose qui échappe au piège de la narration pseudo ratioïde.

Celui qui a sans aucun doute le mieux perçu les lignes de schize dans le champ narratif c’est Burroughs et qui est le mieux placé pour appréhender ce qu’il en est de la langue comme drogue lui qui a fait pendant tant d’années de la drogue la langue de son expérience dangereusement vitale . Et cela pour plusieurs raisons :

 sa vie dans l’addiction pendant plus de 15 ou 20 ans,
 sa capacité à la quitter et à se mettre à écrire,
 l’invention qui en a découlé, celle du cut-up qui est sans aucun doute l’acte anti-narratif ouvrant sur une infinité de manières de raconter possibles le plus radical de la seconde moitié du XXe siècle, acte anti-narratif ayant donné lieu à l’une des œuvres les plus foisonnantes de cette période,
 sa connaissance de l’œuvre de Jaynes, cité plusieurs fois dans ses essais,
 sa conception particulière de la langue ou des mots comme virus,
 sa capacité à accueillir comme « normales » les choses les plus apparemment irrationnelles et à tenter de les comprendre en tout cas les intégrer dans sa « vision du monde » comme le montre son analyse des voix de Raudive.

Lorsqu’on parle de schize, il est inévitable de penser au schizo et à la confusion psychique. Mais c’est précisément contre ce partage rationnel irrationnel que Burroughs aussi fait face. Son écriture est une machine de guerre contre ce partage, et pour un rapprochement un mélange entre ces deux univers. Il faut pour y parvenir changer de mode de perception. Cela ne veut pas dire mettre à bas toutes les valeurs, mais expérimenter ce qui se produit quand on lève la barrière qui les sépare. Des flux, des mots, des états, des sensations, des choses incroyables, impensables arrivent et s’en saisir et non les repousser est ce qui permettra d’en prendre la mesure au coeur même de la démesure.

Paradoxalement, le mot schize qui dit la séparation, la coupure, sert en fait à approcher des phénomènes qui se produisent entre les deux mondes séparés par la coupure.

On retrouve là toujours l’ombre de Jaynes et sa thèse sur la bicaméralité, ce fonctionnement psychique fondé sur une schize. Deux points sont essentiels pour Burroughs qui connaît déjà lui le fait d’entendre des voix ne serait-ce que dans les hallucinations liées à l’addiction. Accepter l’existence de ces voix et se demander d’où elles viennent, voilà déjà un pas de fait vers une autre manière de penser.

Car tel est l’enjeu : cesser de repousser les expériences vécues par certains au nom de la règle de la loi de la morale ou de la raison.

Cela conduit donc à deux prises de positions majeures pour Burroughs. Réfléchir sur ces voix implique de les accepter, de reconnaître qu’elles nous hantent même si nous ne le percevons pas dans le système dans lequel nous pensons encore. C’est aussi mettre en pièces les résistances de l’ego qui se découvre entièrement à la merci de ces voix par exemple. Cela oblige aussi finalement à tenter de comprendre ce qui se produit lorsque l’on introduit dans le domaine le plus propice à ce partage entre données provenant de mondes séparés, à savoir la langue, le langage si l’on veut. L’invention du cut-up est la réponse que Burroughs met en place pour faire exister ses découvertes.

Apparaît alors très vite, si l’on s’en tient à la question des voix, que le dehors le plus lointain celui de l’univers ou celui des morts entre en contact avec nous, qui sommes gouvernés par notre cerveau gauche par notre conscience.

Cela fait surgir immédiatement ceci : que ces deux instances, l’ego et la conscience, qui n’en forment peut-être qu’une, sont incapables de renvoyer ces phénomènes dans la nuit de l’oubli. Elles doivent vivre avec. Et Burroughs est celui qui explore ce qui se produit quand les voix se réveillent et commencent à être perçues, reçues, acceptées.

Alors, ces instances que sont l’ego et la conscience, sont contraintes de reconnaître leur dépendance à la drogue la plus dure, les mots, et à découvrir au cœur même de la langue des éléments qui ne cessent de confirmer l’impossibilité de dresser des barrières infranchissables enter les mondes.

Prendre en compte, analyser, interpréter ce qui se passe dans la langue lorsque l’on découvre qu’elle est la drogue la plus universelle, telle est la tâche que s’est fixée Burroughs. Et surtout qu’elle vit et agit en nous et sur nous comme un virus !

  • Virus
    Quels rapports entre dieu, le dieu, les dieux, les mots, les images, les voix et les virus ? Des rapports aussi anciens que ceux qui animent le psychisme bicaméral, qui survit chez les schizos en particulier, mais surtout que des artistes qui n’ont pas peur de remontrer en deçà des images ou des mots, expérimentent et révèlent à travers leurs œuvres et que finalement nous expérimentons chaque jour, sans nous en apercevoir, sur un mode qui n’en est désormais pas si éloigné.

« En 1959, Brion Gysin a déclaré que l’écriture avait cinquante ans de retard sur la peinture et a appliqué à celle-ci la technique du montage [...] il est un fait que le montage est beaucoup plus proche des faits de la perception, la perception urbaine en tout cas, que la peinture figurative. [...] L’écriture est encore confinée dans la camisole de force de la représentation séquentielle du roman, forme aussi arbitraire que le sonnet et aussi éloignée des données réelles de la perception et de la conscience humaine que cette forme poétique du quinzième siècle. La conscience est un cut-up ; la vie est un cut-up. Chaque fois que vous marchez dans la rue ou que vous regardez par la fenêtre, votre flux de conscience est coupé par des facteurs aléatoires. » [31].

Dans un autre essai, un peu antérieur, Burroughs écrivait déjà : « Une autre source de matériaux pour l’écrivain est constitué par les voix qu’il entend tout le temps, qu’il le sache ou non. Il peut penser qu’il entend ses propres mots. Si le magnétophone capte des voix, vous ne faites autant. Un magnétophone n’est que le modèle d’une fonction du système nerveux de l’homme. Considérez les voix comme une source de matériau [...] j’ai parlé de la ressemblance stylistique entre les voix de Raudive et certaines phrases entendues dans les rêves. Le processus onirique se poursuit tout le temps, mais n’est pas ordinairement perceptible quand vous êtes éveillé, à cause de l’énergie sensorielle et de la nécessité de se projeter dans un contexte apparemment objectif. Les voix oniriques qui peuvent bien avoir les mêmes origines que les voix de Raudive a enregistrées, peuvent être contactées à n’importe quel moment. Il est simplement nécessaire de me défaire des mécanismes de défense. La meilleure écriture est atteinte dans un état de perte d’ego. L’ego de l’écrivain, défensif et limité, ses ”propres mots” ce sont-là ses sources les moins intéressantes. La tâche qu’on peut s’assigner est de rassembler une page ou deux ou autant que vous voulez qui ne contiennent aucun mot qui vous soit propre. » [32].

Embarqués par un monde qui crée de l’hallucination plus vite que défilent nos rêves, nous sommes confrontés à une situation nouvelle en effet comparable à celle de nos ancêtres bicaméraux, à ceci près que nous devons agir, malgré tout, en fonction de notre conscience dont nous n’arrivons pas à nous défaire puisque pour beaucoup d’entre nous elle est porteuse encore de la voix qui oriente et qui guide et que donc elle est notre dieu. Mais, comme nous le constatons chaque jour un peu plus, ses conseils sont limités et peu efficaces, voire même proprement désastreux.

Si de dieu, on peut penser qu’il n’y a plus, on trouve à la place, assaillant la conscience, cette infinité de voix porteuses de messages dont nous sommes, comme humanité, les émetteurs, mais dont le sens est pour le moins brouillé ou en tout cas obscurci à la fois par le climat général d’hallucination dans lequel nous vivons et par l’impuissance de la conscience à les déchiffrer ou par le refus d’entendre le double message intenable véhiculé par ces voix, que le monde tend vers la perfection et qu’il marche à grand pas vers la catastrophe.

Les images et les mots, de porteurs de sens sont devenus des virus. Ou plus exactement ils fonctionnent comme des virus.

Burroughs, toujours lui, a pu écrire dans un texte intitulé Révolution électronique ceci : « J’ai souvent comparé le mot et l’image à un virus, ou à l’action virale, et cette comparaison n’a rien d’allégorique. Il apparaîtra que dans les langues syllabiques occidentales, les distorsions constituent de véritables mécanismes viraux. Le EST posant l’identité constitue un mécanisme viral. Si la visée peut se déduire de l’action, un virus consiste à SURVIVRE. Survivre aux dépends de l’hôte envahi. Être animal, être corps. Être corps animal que le virus peut envahir. Être des animaux, être des corps. Être davantage de corps animaux afin que le virus puisse passer d’un corps à l’autre. Rester présent en tant que corps animal. Rester absent en tant qu’anticorps ou que résistance à l’invasion du corps.

Le LE catégorique constitue également un mécanisme viral qui vous coince dans l’univers viral. LA locution SOIT/SOIT (OU/OU) constitue une autre formule virale. C’est toujours soit vous soit le virus. SOIT/SOITOU/OU : telle est en fait la formule conflictuelle qui constitue l’archétype du mécanisme viral. » [33].

Un virus se déploie en fonction de phénomènes d’amplification, de réplication, et de multiplication. Cela laisserait entendre que, s’il y a un sens, dans l’infinité de ces messages, il se trouve plutôt dans leur fonctionnement même que dans leur apparente et si visible et si lisible signification. Ce n’est pas ce que les voix disent qui importe, ni ce que ceux qui les contrôlent veulent leur faire dire et nous faire comprendre, mais ce que nous pouvons entendre lorsque nous les écoutons munis d’une oreille « déconscientisée », d’une oreille qui n’a peur ni de la schize, ni de l’apparente extraterritorialité des voix, ni des fantômes qui hantent les rêves, ni des monstres que la raison engendre.

Cette oreille a reconnu en ces hallucinations auditives et visuelles qui nous environnent la voix des dieux d’avant le dieu. L’intensité même des troubles qui nous saisissent devant l’impuissance de notre dieu comme de notre conscience, à nous aider aujourd’hui pour nous orienter dans le monde, ressemble sans aucun doute à celle qui saisissait l’individu ou le groupe quand, ne sachant pas ou ne sachant plus qui il était ni où il se trouvait, devait apprendre à s’orienter dans un monde angoissant d’être traversé par tant de flux incontrôlables.

Dans nos mégapoles, nous avons recréé quelque chose qui se rapproche des conditions de la perception qui pouvait exister dans le monde des voix. Nous avons appris à cloner mots et images et sommes en train de découvrir et de « comprendre » que, depuis toujours, ils étaient et fonctionnaient comme des clones ou des virus.

Devons-nous apprendre à nous défendre et à nous protéger ou à les assimiler et en les utilisant, incertains quant aux résultats qu’auront sur nous les manipulations auxquelles nous participons ? Ou comme le faisait il y a déjà un siècle Italo Svevo adopter une position à la fois désespérée et joyeuse, celle qu’il proposait lorsqu’il concluait son grand roman La conscience de Zeno en écrivant : « La loi du plus fort disparaît, et, avec elle, la sélection salutaire. Pour nous sauver il faudrait autre chose que la psychanalyse ! Celui qui possèdera le plus d’outils, de machines, sera le maître, et son règne sera celui des maladies, et des malades.

Peut-être une catastrophe inouïe, produite par les machines, nous ouvrira-t-elle de nouveau le chemin de la santé. Quand les gaz asphyxiants ne suffiront plus, un homme fait comme les autres inventera, dans le secret de sa chambre, un explosif en comparaison duquel tous ceux que nous connaissons paraîtront des jeux d’enfants. Puis un homme fait comme les autres, lui aussi, mais un peu plus malade que les autres, dérobera l’explosif et le disposera au centre de la Terre. Une détonation formidable que nul n’entendra – et la Terre revenue à l’état de nébuleuse, continuera sa course dans les cieux délivrée des hommes – sans parasites, sans maladies. »

Conclusion
L’arrêt est brusque, mais la conversation reste sans fin. Elle reprendra lors de la prochaine séance et nous permettra de poursuivre la découverte de ces territoires psychiques, de ces expériences hors normes, de leurs manifestations dans des domaines parfois imprévus.

La littérature, évidemment, l’art sans doute, les textes relevant du champ élargi de la religion, il faudra parcourir ces donnés afin de parvenir à établir les inventions, possibles, encore possibles, aujourd’hui.

La prochaine séance (séance 2) sera consacrée essentiellement à une analyse de ce que j’appellerai « La méthode Kluge », c’est-à-dire aux moyens mis en œuvres par l’écrivain cinéaste et homme de médias Alexander Kluge dans ses œuvres. On y verra apparaître aussi bien des montages cinématographiques que des montages textuels permettant d’accéder à une approche du monde non basée sur la conscience ou l’ego même lorsque les éléments biographiques ne cessent d’affluer et d’innerver les œuvres. Lui aussi est un lecteur de Jaynes et on verra à travers quelques occurrences comment il le reçoit et le comprend. Ceci nous conduira à approcher et à déterminer comment une vision post-jaynsienne de notre ou de nos réalités peut nous permettre d’accéder à une connaissance plus juste et de la situation dans laquelle nous nous trouvons et de ce que nous sommes en train de devenir.