« Regarde ce filtre, nous avions dit qu’une fois déployé en deux dimensions, il avait la même surface que le salon, mais quand il sera déployé en deux dimensions, crois-tu qu’on pourra se baser sur cette surface bidirectionnelle pour comprendre la nature du filtre en trois dimensions ? C’est évidemment impossible. Les informations contenues dans sa structure tri-dimensionnelle auront disparue dès son déploiement. Imagine un verre cassé, jamais il ne retrouvera son aspect original. » [1] Et s’il est un art qui démontre qu’un objet cassé ne retrouve jamais cette forme originel ne serait-ce que, parce qu’il assimile-assume les traces de ses brisures, c’est l’art du [kintsgi] (金継ぎ)
Même dans cet art, la disparition concerne aussi bien la forme que l’usage. Surtout, la disparition de ces informations par ce redéploiement en 2D, qu’il soit volontaire, dans le cas du mégot ou involontaire pour le vase cassé, rendra cet objet inutile malgré d’éventuelles capacités de reconstitution.
Avec cet art, « La casse d’une céramique ne signifie plus sa fin ou sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle et une continuité dans son utilisation. Il ne s’agit donc pas de cacher les réparations, mais de mettre celles-ci en avant. » [2] Ce nouveau cycle est celui de l’ornementation, de la collection.
Faire une photographie, une peinture est une opération du même ordre que le redéploiement d’un mégot de cigarette, le changement d’espace de représentation transforme à jamais l’objet représenté même si nous continuons à espérer contre toute espérance que ce changement d’espace ne soit pas une transformation.
Tout comme dans le filtre déployé, on retrouve-reconnaît la quantité de matière nécessaire à sa fabrication et la dite matière, dans la photographie on retrouve-reconnaît l’arbre, la voiture,... leur couleur et leur forme dans cette représentation. Pourtant, il reste qu’il est devenu impossible de grimper à l’arbre, de pénétrer dans la voiture, de la conduire et l’arbre, quelque soit sa pérennité photographique et sa résistance au temps ne produira jamais de fleurs et de fruits.
Dans aucun cas, que la personne photographiée soit vivante ou non, on ne pourra jamais dialoguer avec sa photo. Se tenir ’’lieu de...’’ est donc bien ténue. Et comme le montre l’art du kintsgi [3], ce redéploiement narre le début d’un autre sicle de vie.
C’est là qu’intervient un procédé de prise de vue récemment inventé, il s’agit de la tomodensitométrie 3D ou CT scan[[un faisceau d’une épaisseur de 1 à 10 millimètres tourne autour du patient pour produire une image à un intervalle régulier. En face du tube émetteur des rayons X sont disposés des milliers de détecteurs qui mesureront l’intensité résiduelle du faisceau après la traversé du corps pour produire finalement un mille-feuilles d’images qui serviront à construire un modèle 3D. Ces images ont pour particularité de décrire l’intérieur et non l’extérieur comme le fait une photographie traditionnelle. Ce rayonnement sortant est capté par les détecteurs électroniques qui tournent en même temps que le tube. Ceux-ci recueillent donc le rayonnement résiduel après traversée de l’organe à explorer et, par comparaison avec un rayonnement témoin, mesurent l’atténuation des rayons X. Ensuite, les détecteurs convertissent les rayons X en signaux électroniques analogiques eux-mêmes convertis en informations numériques exploitables par les programmes de l’ordinateur.
Un peu plus de deux millions de données sont alors enregistrées en quelques secondes par l’ordinateur. Son programme calcule l’absorption du rayonnement en chaque point de la coupe. Un traitement informatique complexe permet ensuite de faire apparaître sur l’écran l’image reconstituée d’une coupe axiale de 1 à 10 millimètres d’épaisseur. Cette image traduit les variations d’absorption des tissus traversés auxquelles sont associées des variations de nuances (noir, gris, blanc) ou des couleurs conventionnelles qui ne sont donc pas nécessairement réalistes.
Ce traitement informatique sera exécuté par les consoles de reconstruction (ou console de post-traitement)[source] qui révèle l’intérieur du mégot ou du rouleau de papyrus sans avoir à le dérouler physiquement. Miracle ! on regarde le mégot en 2D sans perdre sa forme 3D et son usage. Quant au papyrus, il est possible de le regarder comme s’il était déroulé mais sans prendre le risque de le briser, ce qui ouvre une potentialité : déchiffrer plus de lettres, donc de textes pour mieux comprendre son contenu comme dans le cas de En gedi, un livre du Lévitique qui a l’avantage d’être écris avec des encres métalliques qui brillent ce qui accentue l’efficacité des rayons X.
Sur la question de la réduction des dimensions, voir aussi Regard sur l’image page 143
- L’homme à la conquête de l’invisible et de l’inaudible
- Photographies 3D et impressions 3D réalisées par Hervé Bernard
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