– 1 Florilège
« L’art dit non figuratif n’a pas plus de sens que l’école non enseignante, que la cuisine non alimentaire,etc. »
« Le Surréalisme, c’est la connaissance immédiate du réel. »
« Je n’ai pas eu d’idée, je n’ai pensé qu’à une image. »
« Le progrès est une idée saugrenue. »
« Il n’y a pas de choix : pas d’art sans la vie. »
« ... tout cet univers mystérieux est froid, je ne ressens pas de chaleur dans le vide de l’au-delà. D’ailleurs, c’est l’ensemble que j’essaie de transformer en matière. Et cet ensemble ne peut-être que froid. »
« Être surréaliste, c’est bannir de l’esprit le “déjà vu” et rechercher le pas encore vu. »
« Le monde et son mystère ne se refait jamais, il n’est pas un modèle qu’il suffir de copier. »
« L’objet de la poésie deviendrait une connaissance des secrets de l’univers qui nous permettrait d’agir sur les éléments. »
« L’art de peindre est un art de penser, dont l’existence souligne l’importance du rôle tenu dans la vie par les yeux du corps humain ; le sens de la vue étant en effet le seul qui soit intéressé par un tableau. »
« Le terme de “composition” suppose une “décomposition” sous forme d’analyse par exemple. Dans la mesure où mes tableaux sont valables, ils ne se prêtent pas à l’analyse. »
« La poésie écrite est invisible. La poésie peinte a une apparence visible. »
« Je peins l’au-delà, mort ou vivant. L’au-delà de mes idées par des images. »
– 2 Lettre de René Magritte à André Bosmans
Cher ami,
Voici quelques notes qui pourront peut-être vous être utiles, comme point de départ à vos réflexions ? Je suis heureux de savoir que cela vous tente d’écrire cette monographie. Si j’ai de nouvelles notes, je vous les enverrai.
Bien affectueusement à vous,
RM
Dans l’image d’un personnage debout avec l’inscription : Personnage assis, le mot assis veut dire : posé sur un siège, c’est-à-dire au sens propre et non dans le sens humoristique (« au figuré ») qui signifierait « confortablement établi, prospère, etc… Le sens propre étant le seul à prendre en considération, il exclut l’allégorie (le sens figuré).
Le sens propre appartient au langage personnel, non soumis au dictionnaire. Il requiert la présence d’esprit qui distingue le langage vulgaire et le langage secret de l’authenticité.
Le langage vulgaire est la langue morte qui prive de vie les mots.
Le langage de l’authenticité « donne la parole » aux mots en leur faisant dire ce qu’ils n’ont jamais dit.
Les images peintes sont l’égal de la parole, sans se confondre avec elle. Ce que l’image peut montrer, la parole ne peut le dire, ce que dit le langage, l’image ne peut le montrer. Ce que les images peintes « montrent » et ce que la parole « dit » sont cependant (peuvent être cependant) une même chose. Mais transposer en dire ce qui est montré (ou transposer en montré ce qui est dit) ne consiste pas en une « traduction » dont on aurait les termes équivalents, une sorte de dictionnaire images-paroles, paroles-images. La « transposition » est une rencontre qui ne résulte que d’une création égale à celle de la chose à transposer.
Devant ces images qui montrent tout ce qu’elles sont, où rien n’est caché, la pensée est responsable de ce qu’elle pense si elle ne se dérobe en ayant recours à une « interprétation allégorique », c’est-à-dire à l’habitude de ne rien voir au sens propre. Une telle habitude de tout interpréter au « sens figuré » n’engage la pensée à aucune responsabilité essentielle.
Les images peintes sont invisibles, ne sont pas connaissables si l’on regarde les produits colorants, avec lesquels elles ont été peintes. Ces produits, « la matière », n’acquièrent aucune nouvelle caractéristique matérielle lorsqu’elle a été manipulée par un peintre, sauf de perdre tout intérêt et de perdre son apparence effective pour ne laisser apparaître que l’image de la pensée.
René Magritte, Lettres à André Bosmans 1958-1967, Seghers - Isy Brachot Nous sommes responsables des italiques dans cette lettre.
– 3 Lettre de Magritte à Michel Foucault
Les mots Ressemblance et Similitude vous permettent de suggérer avec force la présence — absolument étrange — du monde et de nous-mêmes. Cependant je crois que ces deux mots ne sont guère différenciés, les dictionnaires ne sont guère édifiants quant à ce qui les distingue.
C’est me semble-t-il que, par exemple, les petits pois entre eux ont des rapports de similitude, à la fois visibles (leur couleur, leur forme, leur dimension) et invisibles (leur nature, leur saveur, leur pesanteur). Il en est de même du faux et de l’authentique, etc. Les « choses » n’ont pas entre elles la ressemblance, elles ont ou n’ont pas des similitudes.
Il n’appartient qu’à la pensée d’être ressemblante. Elle ressemble en étant ce qu’elle voit, entend ou connaît, elle devient ce que le monde lui offre.
Elle est invisible tout autant que le plaisir ou la peine. Mais la peinture fait intervenir une difficulté : il y a la pensée qui voit et qui peut être décrite visiblement. « Les Suivantes » [nb : les Ménines] sont l’image visible de la pensée invisible de Vélasquez. L’invisible serait donc visible parfois ? À condition que la pensée soit constituée exclusivement de figures visibles.
À ce sujet, il est évident qu’une image peinte — qui est intangible par sa nature — ne cache rien, alors que le visible tangible cache immanquablement un autre visible — si nous en croyons notre expérience.
Il y a depuis quelques temps, une curieuse primauté accordée à « l’invisible » du fait d’une littérature confuse, dont l’intérêt disparaît si l’on retient que le visible peut être caché, mais que ce qui est invisible ne cache rien : il peut être connu ou ignoré, sans plus. Il n’y a pas lieu d’accorder à l’invisible plus d’importance qu’au visible, ni l’inverse.
Ce qui ne « manque » pas d’importance, c’est le mystère évoqué en fait par le visible et l’invisible, et qui peut être évoqué en droit par la pensée qui unit les « choses » dans l’ordre qui évoque le mystère.