Regard sur l’image

Accueil > Français > Image et société > Libres interprétations > Masque et bergamasque

- Masque et bergamasqueImage dissimulation ou image révélation

,  par Hervé BERNARD dit RVB

La fonction originelle du masque est de dissimuler soit pour effacer l’identité de l’individu au profit d’une collectivité soit, plus souvent au profit d’un personnage symbolique. Ce dernier rôle est à l’envers, en miroir du rôle précédent. Mais, qu’advient-il du masque lorsqu’il est fait sur mesure ?

En fait cette question reçoit deux réponses en fonction des origines de ce masque. Premier cas : nous sommes en présence d’un masque mortuaire, celui-ci est fait, en tout cas en Occident, sur mesure. Son rôle est double : immortaliser le visage du défunt donc le révéler aux générations futurs et simultanément dissimuler les outrages de la mort. Sa fonction est donc de dissimuler l’intérieur à l’extérieur.

Ceci nous ramène à la question du rôle de l’image. Une image est une image de quelque chose, certes mais nous sommes obligés de constater comme à chaque fois que l’on parle d’images, qu’une image, comme un texte, révèle et simultanément dissimule. Donc une image est une image de quelque chose mais ce quelque chose, à quoi ressemble-t-il ?

L’Angélus

Prenons l’exemple de l’Angélus de Millet. Au premier abord, ce tableau semble une simple scène champêtre de recueillement. Version officielle, ce couple de glaneurs prie parce qu’il écoute les cloches de l’Angélus provenant d’un clocher situé au loin. En regardant, cette image, selon notre point de vue, on se s’interroge sur les français du XIXe siècle. Étaient-ils vraiment aussi religieux ou autant inféodés à l’autorité ?

Que nenni, en fait, ils prient en l’honneur d’un disparu comme l’a révélé la radiographie de cette peinture qui montre que le champs dissimule un cercueil [1]. Donc, ce couple démuni est deux fois démunis. En effet, ils ne sont pas seulement d’une pauvreté extrême, mais face à la mort, ils sont tellement démunis qu’ils n’ont même pas les moyens d’enterrer un des leurs dans le cimetière du village. Ils prient donc en l’honneur d’un disparu, disparu à de nombreuses reprises : disparu parce que mort, disparu parce que sa tombe n’aura pas d’emplacement identifié (il n’est pas enterré au cimetière) et disparu parce qu’escamoté de l’Angélus.

Regard

Mais revenons à nos masques. Aujourd’hui, ils ne sont pas seulement moulés sur des morts, ils sont aussi moulés “sur” des visages de vivants comme le montre les masques à l’effigie de nos politiciens. Ils sont portés pour dissimuler à l’extérieur l’intérieur. Leur rôle n’est donc pas de faire apparaître le collectif aux dépends de l’individu.

Cependant, il est un film qui prouve le contraire c’est : à la recherche de Cantona [2]. A la fin de ce film une grande majorité des protagonistes se retrouve dissimulée derrière un masque à l’effigie de ce français exilé et Cantona lui-même porte son masque. Que ce dernier soit masqué est loin d’être anecdotique. En effet, le fait qu’il porte un masque empêche les autres protagonistes de basculer dans la recherche d’une ressemblance avec notre joueur de football national car il devient difficle de le situer dans la foule de Cantona. Bien au contraire, au-delà de la narration de ce film, ce fait nous confirme, qu’ici le rôle du masque va au-delà d’une dissimulation. En effet, ce port, paradoxalement, fait naître une nouvelle collectivité : celle des personnes qui refusent le diktat de la mafia, de la pègre. Ici peu importe l’identité du masque, il aurait pu représenter Lady Di, le Prince de Galles, la Reine Élisabeth... Son rôle est de dissimuler des individus pour révéler la naissance d’une collectivité tout comme celui d’Anonymous.

Et si à la recherche de Cantona était une interprétation de cette citation « Qu’est ce qu’un personnage ? Un masque.[ .... ] "personna" veut dire ‘’ce qui fait sonner au travers’’. Per-sonare. [ .... ] Une ‘’personne’’ au sens le plus archaïque est "un porte voix" qui délivre le récit d’un mort et auquel il substitue son souffle, à la fois en le déformant et en l’amplifiant dans ce trou circulaire qui devient peu à peu une face particulière. Un ‘’personnage’’ signifie au sens stricte un résonateur. La mutation est immédiate : dès l’instant où l’acteur se glisse dans le personnage - telle est l’hystérie de l’histrio - la fonction porte-voix se lie à la fonction imago-masque.
Si le mot personna en latin est le nom du masque, le mot imago désigne la tête du mort surmodelée de cire. Mais ni l’un ni l’autre ne sont des visages vivants. » [3]

Le masque serait-il finalement un miroir de notre intérieur ?

© Hervé Bernard 2009-2012

couleur et masque dans Regard sur l’image

À propos du film de Ken Loach, voir aussi

Le masque vu par Picasso

Portrait et masque
_________________________________________________________________________________________
Regard sur l’image,
un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
Tarif pour la CEE et la Suisse 52,00 € , dont frais d’expédition 6,98 €,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
Pour acquérir cet ouvrage dans la boutique
_________________________________________________________________________________________