Première partie du séminaire de décembre 2021
L’enjeu de ces séances, c’est de tenter de montrer à la fois l’existence de liens entre différentes cultures et entre différents moments dans l’histoire des hommes relatifs aux manifestations et à la croyance en l’existence d’entités diverses portant le nom de dieux, esprits, fantômes, démons, anges, etc.
Introduction
Même si ces entités ne sont pas équivalentes, elles semblent toutes parler une langue qui nous est à la fois extrêmement familière et terriblement étrangère ou du moins terriblement inquiétante.
Mais au-delà de l’établissement de corrélations et de concordances parfois inattendues, la question qui se pose à nous est moins celle de la véracité de ces manifestations que celle de leur traduction dans des métaphores susceptibles de s’accorder avec notre vision du monde actuelle.
C’est pourquoi un va-et-vient permanent entre hier et aujourd’hui apparaît comme le seul moyen d’établir ces corrélations, ces rapprochements et aussi le seul moyen d’en mesurer la prégnance, la véracité, l’efficacité relationnelle et symbolique.
Un autre point s’impose déjà, qui consiste à montrer comment hier et aujourd’hui s’entre-appartiennent et déterminent les possibles dans le champ de la pensée. Sans gommer les différences ni évidemment les nier, il doit être possible d’effectuer des rapprochements qui même s’ils semblent au premier abord non légitimes peuvent à travers la mise en place de certains critères trans-historiques, s’avérer capables de révéler ou de confirmer l’existence de parentés profondes entre expériences apparemment différentes, points de vue apparemment éloignés, positions au premier abord incompatibles.
Ces séances visent à parvenir à l’élaboration de critères, ce qui implique un travail concret sur des exemples relevant en effet de strates culturelles et historiques distinctes.
Chaque séance, sans être organisée sur un seul modèle tentera le plus souvent d’établir de tels parallèles de telles mises en relations. Ainsi celle d’aujourd’hui va-t-elle nous conduire d’un saut de Homère à une analyse contemporaine du cerveau contemporain puis à une plongée dans un exemple de ce que peut vouloir signifier « Faire des dieux ».
Nous poursuivrons donc la présentation d’une partie de la réflexion de Julian Jaynes et nous verrons déjà se dégager des éléments qui pourront fonctionner comme critères pour la suite. La lecture eu livre d’Ansermet et Magestratti À chacun son cerveau nous permettra de faire des rapprochements inattendus. La lecture attentive du livre de Hans Bellmer Petite anatomie de l’image nous montrera comment un esprit artiste peut parvenir par ses propres moyens à des inventions qui font écho de manière évidente avec les deux strates de pensées analysées auparavant.
Partie I — Comment pensaient les héros de l’Iliade ?
Avec l’aide de Julian Jaynes, nous allons tenter de comprendre la schize caractérisant le fonctionnement d’un cerveau bicaméral, celui des hommes de la fin du néolithique et de l’âge de bronze. Autant le préciser d’entrée de jeu, le terme de schize est bien connu mais il convoque pour l’essentiel des images ou des idées relevant de la psychologie ou de la médecine psychiatrique et cela malgré les efforts il y a près de cinquante ans de Deleuze et Guattari de sortir ce mot de son champ médical et de montrer en quoi il pouvait travailler de l’intérieur de nombreuses strates de la société. Dans L’anti-oedipe, p. 51, on peut lire, c’est au sujet de la recherche de Proust : « En termes kleiniens, on dirait que la position dépressive n’est qu’une couverture pour une position schizoïde plus profonde. »
Ici, il sera utilisé comme un élément heuristique permettant de révéler dans des corpus de textes, de pratiques ou de réalisations artistiques ou autres, la présence d’une faille, d’une séparation, d’un gouffre parfois, mais aussi d’une discrète fêlure et de montrer comment chacun à sa manière joue un rôle déterminant voire un rôle organisateur dans la formulation des questions qui se posent à tel ou tel moment de l’histoire.
Si la schize change souvent de forme ou de consistance, elle n’en est pas moins repérable à la fois comme force activant des divisions que parfois la raison ou la conscience semblent refuser de voir ou de reconnaître et comme figure dessinant à même la chair des œuvres, la succession des idées ou la trame des concepts, des contours ou des chemins qui conduisent à d’autres approches que celles déjà validées par telle ou telle doxa.
À propos de quelques passages de l’Iliade
Le mieux est sans doute de se plonger rapidement dans quelques passages de l’Iliade mettant en scène tel ou tel personnage, le plus souvent un héros et tel ou tel dieu, le plus souvent Zeus, Apollon ou Athéna. Il n’est pas nécessaire d’aller très loin dans le texte pour trouver de telles occurrences, le premier chapitre étant à lui seul presque suffisant pour la démonstration.
Lecture de l’Iliade, chant I (Pléiade trad Flacelière) vers 1 à 106, p. 93 à 95
Ensuite vient la querelle entre Achille et Agamemnon au sujet de Chryséis, femme qu’il a obtenu en récompense lors d’un raid guerrier, ce dernier devant faire ce qu’il se refusait à faire. Contraint par l’oracle, il l’accepte de la rendre à son père mais au prix du don par Achille de sa propre proie acquise au même moment et qui a nom Briséis.
Cette querelle va envenimer tout le début du récit et déterminer des événements majeurs comme la mort d’Achille.
Lecture de l’Iliade, de la page 97 (vers 180 environ…) à la page 98 (V225)
Il n’est guère difficile de remarquer dans ces passages ce qui est au fondement de la thèse de Jaynes : ces personnages, ces héros, ce n’est pas eux qui prennent les décisions qu’ils vont finir par mettre ne œuvre. En effet, lorsque, comme c’est le cas ici, ils font face à la difficulté de contrôler leurs affects voire plus exactement leurs pulsions qui sont souvent violentes voire à tendance meurtrière, ce n’est pas eux qui décident mais un dieu ou une déesse qui se déplaçant de l’Olympe vient en un instant leur parler et en fait déterminer ce que sera leur décision, leur choix.
En fait, le dieu ou la déesse prend place en eux, leur parle comme du dehors mais en fait parle à l’intérieur d’eux, au plus profond de leur oreille. Et comme personne d’autre ne les voit ou ne sait qu’ils sont à cet instant présents en train de parler à tel ou tel, la décision dont ils vont faire part ensuite à l’assemblée et à laquelle bon gré mal gré, ils vont se soumettre, apparaît comme la leur.
Mais personne n’est dupe puisque chacun vit à chaque moment de doute, de stress, de crise la même situation, à savoir qu’un dieu vient à lui et lui indique voire lui dicte la bonne décision, celle en tout cas qu’il doit suivre. Et si elle se révèle avoir été une décision qui a conduit le héros à la mort, ce sera le dieu ou la déesse qui en aura été la cause.
Le dieu qui parle en eux, c’est une voix ou souvent aussi une vision qui a pour fonction de contraindre le héros, son corps, son cœur, son « esprit », à obéir.
Il faut cependant noter qu’il y a déjà deux niveaux de discours ou de dialogue, ceux qui se tiennent entre le héros et un dieu ou une déesse, et ceux qui se tiennent entre les hommes. Le dieu ou la déesse interviennent dans des moments où il faut prendre une décision.
Mais il y a aussi des éléments partagés par tous, visibles par tous, mais qui, pour être compris doivent être interprétés. Ce sont des signes qui trament leur niveau de réalité entre dieux et hommes, qui sont des manifestations contournées des dieux qui intriguent les hommes et que les hommes veulent comprendre. Pour lire et interpréter ces éléments qu’on nommera des signes, il existe des gens spécialisés, des devins, comme ici, Chalcas.
Une porte est déjà ouverte qui conduira à l’établissement de liens de plus en plus étroits entre phénomènes concrets, visibles, sensibles et significations déchiffrables par les hommes. Mais nous n’en sommes pas encore là et rien de ce que nous nommons raison n’existe, même s’il existe déjà des zones d’accord autour d’éléments communs et connus de tous que l’on nommerait aujourd’hui des valeurs mais qui sont en fait des déterminants explicites à l’action ou à des actions communes, comme d’avoir accepté de venir combattre avec Agamemnon et Pâris pour récupérer Hélène.
Mais dès que l’on sort de cette zone des évidences acquises, et elles ne sont pas si nombreuses, dès que tel ou tel personnage fait face à une incapacité de décider de ce qu’il doit dire comme de ce qu’il doit faire, un dieu se manifeste qui vient en général l’aider, le sauver.
Et lorsque le sauvetage ne fonctionne pas lorsque la mort survient, c’est qu’entre les dieux des conflits de pouvoir de préséance ou de jalousie font rage. L’individu, tout héros qu’il est, et il le sait, n’est qu’un pion entre les mains des dieux. Telle est la forme de la vie, la manière dont elle est pensée à cette époque.
La thèse de Jaynes
Il faut ici, pour cette fois, présenter les chapitres 3 L’esprit de l’Iliade, 4 L’esprit bicaméral et 5 Le cerveau dédoublé, du livre de Jaynes.
Suivons ce qu’il nous dit d’essentiel dans ces pages.
L’enjeu est de déterminer ce qu’est la conscience et de montrer que contrairement à ce qui a longtemps passé pour la vérité, à savoir que la conscience était « le produit d’une sélection naturelle remontant à un moment de l’évolution des mammifères », la conscience ne peut apparaître qu’après le développement du langage.
Pour Jaynes l’enjeu est de dater l’origine de la conscience.
Si vers - 3000 le langage est l’objet d’une transposition de ses éléments parlés sous forme de marques sur de l’argile, si donc on passe d’une dimension purement acoustique au fait qu’on l’écrit pour qu’il soit VU, c’est-à-dire vu par des gens qui ne sont pas à portée de voix, c’est dans cette mutation que la conscience prend littéralement sa source.
Elle ne préexiste pas à ce déplacement à cette mutation à cette rupture de la bulle sonore-acoustique et à la transformation de son articulés en traces et signes visibles, visuels donc.
Pour comprendre cette mutation ce passage ce saut peut-être il faut tenter de comprendre comment fonctionnaient les humains avant cette invention ou, car pour les autres on n’a justement que des textes évoquant ces périodes antérieures, comment pensaient ceux qui vivaient à l’époque de cette invention.
Pour Jaynes, c’est l’Iliade qui constitue le texte de référence « dans une langue dont la traduction offre assez de certitude ». Composé par les aèdes (aoidoi) entre 1230 et 900 ou 850, ce texte nous plonge dans un milieu et avec des hommes « qui n’ont donc pas de mots se rapportant à la conscience ou à des actes mentaux. » (p. 87)
On connaît les mots de psyché qui signifie sang et souffle (et pas âme ou esprit pas encore en tout cas !) de thumos signifiant mouvement ou geste (pas âme affective) de phrènes qui correspond à une sensation dans le diaphragme celui de noos qui deviendra le « nous » l’esprit mais qui alors signifie seulement voir percevoir ce qui est dans le champ de vision ou être auprès de, puis aussi mermera qui dérive de mermerizein qui signifie être divisé en deux par quelque chose et être en conflit avec soi entre deux actions (et non pas entre deux pensées) (et pas méditer ou réfléchir) et l’on sait qu’il n’y a pas non plus de concept de volonté.
Si on en prend le temps plus tard, je reviendrai en détail sur ces mots et leurs significations et surtout sur leur histoire et leur généalogie à partir de la lecture d’un des livres essentiels quand on veut comprendre le monde grec et plus avant le monde qui préside à la genèse de la conscience, et qui se nomme La naissance de la conscience européenne et qui est écrit pas un anglais Richard Broxton ONIANS, Les origines de la pensée européenne : sur le corps, l’esprit, l’âme, le monde, le temps et le destin [1]. Bref les personnages, les héros de l’Iliade n’ont, en ce sens, rien de commun avec nous mais ils font face comme nous à la question de la décision et de l’action.
La question posée par Jaynes est : qu’est-ce qui commande l’action chez ces hommes s’il n’y a ni volonté ni esprit ni âme pour le faire ?
Ce que nous a montré la lecture des pages de l’Iliade, c’est que ces figures qui parlent aux héros, « les dieux leur tiennent lieu de conscience. L’origine des actions ne se trouve pas dans des projets conscients, des raisons ou des mobiles, mais dans les actions et les discours des dieux. » (p. 91). En d’autres termes, « les personnages de l’Iliade n’avaient pas du tout d’ego . » (p. 91)
Et d’ailleurs, rappelons nous des tous premiers vers, menin oedie thea chante ta colère ô déesse, montre bien que le poème, l’Iliade donc, est l’œuvre des dieux. C’est le mètre la métrique les rythmes qui dirigent l’activité électrique du cerveau et font tomber les inhibitions émotionnelles habituelles.
Les dieux, ces dieux donc « qui étaient capables de déplacer hommes et soldats comme des robots comme des automates les dieux sont des voix des organisations du système nerveux central c’est-à-dire des pesonae ayant une grand cohérence à travers les temps, des amalgames d’images parentales et admonitoires. » (p. 92) (Admonitoire dérive de admonester qui signifie : Donner un avertissement accompagné souvent d’un jugement sévère, voire d’un blâme. Et de admonere qui signifie avertir.)
Le dieu est une partie de l’homme qui le guide le commande la relation dieu héros ressemble à celle décrite par Freud entre moi et surmoi.
L’émotion la plus forte ressentie par un héros vis à vis d’un dieu est la surprise ou l’émerveillement quand la solution d’un problème difficile surgit dans notre esprit le euréka d’Euclide ! Bref « les dieux sont ce qu’on appelle maintenant des hallucinations. » (p. 94)
Donc l’homme mycénien n’a pas conscience de sa conscience du monde, ni d’espace mental intérieur pour pratiquer l’introspection. Il n’a pas de langage mental et l’impulsion à l’action est donnée par les dieux.
Les dieux sont aussi en un sens de simples procédés poétiques utilisés par les aèdes pour rendre l’action plus vivante. Ce qu’il fait donc ben comprendre, c’est que pour Jaynes, la présence de ces voix auxquelles on devait obéir est la condition préalable et nécessaire à l’étape suivante qui sera l’étape consciente de l’esprit. Cela nous renvoie à l’existence des royaumes qui étaient des théocraties où chaque roi, chaque wanax était la voix dont chaque homme était l’esclave.
Pour comprendre ce passage il faut aussi intégrer des aspects historiques que nous connaissons mal mais un peu le fait que vers la période de -1500 -1200 était une période chaotique qui a vu l’effondrement de l’esprit bicaméral et l’apparition de la conscience.
Le signe de cette apparition est un vers qui a été ajouté par la suite et qui à lui seul signale et signe l’apparition de ma conscience subjective, vers qui constitue le sujet principal d’un petit dialogue de Platon, intitulé Hippias mineur que j’ai déjà beaucoup commenté [2].
« Le mensonge ou la tromperie, voilà le sujet affiché de cet Hippias mineur. Le nœud central de la dispute entre Hippias et Socrate est un vers célèbre du chant IX de l’Iliade dans lequel Achille répond à Ulysse : « divin fils de Laërte, Ulysse aux mille ruses, je dois de mon propos carrément te faire part ainsi que je vais l’accomplir et qu’il aboutira, je crois. Car m’est odieux, autant que les portes d’Hadès, celui-là qui cache un mot dans son cœur et en dit un autre. Pour moi je parlerai dans le sens même où tout va se trouver réalisé. » [3]
Je me permets de vous renvoyer à ces textes, même si selon le développement du séminaire il n’est pas impossible que j’y revienne.
Ce qu’il faut entendre avec ce vers, c’est l’introduction de la duplicité dans la pensée, duplicité qui est au sens strict l’ouverture d’un espace interne et la condition de possibilité de cette ouverture et de la constitution de la dimension interne intime de la conscience.
Mais qu’est donc cet esprit bicaméral ?
La nature humaine, les hommes étaient divisés en deux parties une qui commandait appelée dieu et une qui obéissait appelée homme. Et aucune d’elle n’était consciente.
Pour bien saisir de quoi il s’agit, pensez à ce qui se passe quand vous conduisez à tout ce qui se fait sans recourir à la conscience. Si l’on soustrait la conscience, on a l’homme bicaméral. On voit donc qu’en nous aujourd’hui encore, il n’est jamais loin ou du moins que la porte qui conduit à lui qui nous rapproche de lui est toujours là, fermée ? Entre-ouverte ? Ouverte ? On verra…
Le héros agit sur le monde et le monde agit sur lui, il n’est ni aveugle ni insensible etc. mais face à un danger ou à une situation inextricable l’homme bicaméral devait attendre que SA voix lui vienne en aide et cette voix est le résultat d’une accumulation millénaire de sagesse accumulée et d’ordre d’admonition qui lui disaient « inconsciemment » que faire.
Ce que font ces voix c’est réconforter railler commander annoncer gronder rythmer.
Leur localisation est un problème nous le reverrons plus tard qu’elles peuvent être situées au-dehors et se manifester aussi au plus près de l’oreille voire résonner au dedans du corps.
L’important, on l’a déjà dit mais il faut le redire, c’est qu’une situation de stress déclenche les hallucinations auditives ou visuelles (qui sont plus rares) et le stress apparaît dès que tout ce qui est réglé sur la base de l’habitude et de la répétition est rompu interrompu. Tout ce qui donc relève du conflit, de l’attaque, de la fuite, du combat, tout ce qui nécessite une DÉCISION suffisait à provoquer une hallucination auditive.
La DÉCISION ne relevait pas de la conscience (et aujourd’hui encore pas vraiment on le verra plus tard) la décision, la voix divine met fin au stress AVANT QUE LE SEUIL NE SOIT TROP ÉLEVÉ. Sinon c’est la crise, la perte totale des repères et le risque de mourir ou de faire des choses qui entraîneraient la mort, même si celui à qui cela arrive n’y pense pas ne le sait pas ou s’en aperçoit après coup et trop tard !
(On reverra cela dans la tragédie grecque avec Oedipe par exemple).
Nous en revenons au passage cité la dernière fois à travers la citation de Bill Viola sur l’obéissance liée à l’audition où il est dit qu’obéir c’est entendre en faisant face et que l’enjeu des autorités et ces pouvoirs était le contrôle des voix à distance ainsi que la gestion du phénomène qu’est l’opinion que nous avons de nous-mêmes phénomène par lequel nous régulons et contrôlons le pouvoir que les autres ont sur nous. En d’autres termes les voix sont la volonté chez l’homme bicaméral. Ainsi nous sommes donc de plain pied dans le cerveau bicaméral.
Le cerveau dédoublé
Un petit repère temporel nous indique que le cerveau bicaméral était encore actif il y a une centaine de générations ! Si loin, si près ! Le cerveau bicaméral est médiatisé par la parole (en termes stiegleriens il faudrait dire que le langage est la première rétention tertiaire).
Les deux hémisphères sont donc répartis ainsi :
– un côté gauche qui contrôle le côté droit du corps et qui contient les principales zones du langage ;
– un côté droit qui contrôle le côté gauche du corps.
Le langage est d’un seul côté donc dans les zones de Wernicke de Broca et le gyrus angulaire ou zone de Broadmann 39 (AB39). Outre la langue, cette zone participe à l’activité de la mémoire épisodique et sémantique, aux compétences en mathématiques, à l’alphabétisation et à l’attention spatiale.
Le langage est la capacité indispensable la base anticipatrice à l’action sociale, le fil de la communication rendant possible la survie. Mais la structure neurologique nécessaire au langage existe dans l’hémisphère droit mais elle non activée.
Ce cerveau droit muet peut dans certains conditions être activé (il suffit pour s’en convaincre une bonne fois de regarder la video du TED de la neuro anatomiste Jill Bolte Taylor intitulée Voyage au bout de mon cerveau, conférence de 20mn dans laquelle elle raconte son AVC et comment elle a vécu la dissociation entre ses deux hémisphères cérébraux. Elle a été bicamérale et cela l’a sauvée.)
Jaynes propose la thèse suivante : le langage des hommes n’était lié qu’à un seul hémisphère pour laisser l’autre accessible au langage des dieux. Quand le lobe temporal droit parle le lobe temporal gauche écoute et le message passe par une zone de trois millimètres. L’hémisphère gauche organise l’expérience admonitoire. L’hémisphère droit fait entendre la voix des dieux sous l’impulsion de la zone de Wernicke, voix envoyée vers l’hémisphère droit.
Observations
Les deux hémisphères comprennent le langage
Les dieux sont des amalgames d’expériences admonitoires constituées d’une fusion de tous les ordres donnés à la personne. Les zones divines interviennent dans la perception/compréhension du langage.
Il existe un vestige/des traces de la fonction divine dans l’hémisphère droit.
Tout tourne donc autour de la question de TRACES et de types de traces ou d’inscriptions ce qui sera au cœur de la seconde partie l’analyse du livre À chacun son cerveau.
Il se peut que la voix des dieux n’ait pas été un discours articulé et la zone de Wernicke avait pour fonction de la traduire et d’en assurer l’efficacité dans le fonctionnement des affaires humaines. La zone de Wernicke du lobe droit : ce sont des amalgames de certains aspects de l’expérience auditive ou visuelle.
Ces zones ne servent pas à la réminiscence d’expériences passées. Ces zones servent en ce qu’elles nous plongent dans des hallucinations distillant des expériences admonitoires qui s’incarnent et peut-être se rationalise dans l’expérience présente.
(Cette différence réminiscence et activation par l’hallucination sera au cœur de la mutation platonicienne.)
On se souviendra ici de l’exposé sur Perceval…
Les deux hémisphères peuvent agir de façon indépendante, se comporter comme des personnes indépendantes, leur relation correspondant à celle existant entre l’homme et le dieu pendant la période bicamérale. Pour mieux comprendre, il faut s’intéresser aux exemples de personnes ayant subit un sectionnement de la commissure, qui voient mais ne peuvent verbaliser ce qu’elles voient avec l’hémisphère droit.
En résumé un hémisphère ne sait pas ce que fait l’autre. (Nous reviendrons sur ce point lorsque nous étudierons certains textes de l’Ancien et du Nouveau Testament.)
Les différences entre les deux hémisphères du point de vue de la fonction cognitive reflète les différences entre les hommes et les dieux.
Si le modèle du cerveau bicaméral est correct il doit y en avoir des traces dans le cerveau de l’homme contemporain.
La fonction des dieux est donc de diriger et d’organiser l’action dans les situations nouvelles. D’évaluer les problèmes, d’organiser l’action en fonction de la structure ou du but du moment et de faire coïncider tous les moments disparates (semailles, récoltes, etc..) dans un grand dessein ! De faire passer ces indications et ces instructions dans le sanctuaire analytique verbal qu’est l’hémisphère gauche.
(L’enjeu ici est donc celui de l’articulation entre des moments discrets distincts séparés non reliés bref entre des éléments discontinus, éléments qu’il s’agit d’organiser de telle manière qu’ils finissent par constituer une série même de courte durée qui soit cohérente et qui donne l’impression d’une certaine continuité.
La question continu/discontinu est au cœur de ce qu’il faudra étudier par la suite car apparemment technique ce point est en fait essentiel pour comprendre ce qui rapproche et ce qui peut distinguer aussi des fonctionnements sociaux ou des constructions psychiques appartenant à des époques apparemment très éloignées.)
(Nous allons revoir cela dans la seconde partie et une autre fois lorsque nous nous plongerons dans Les travaux et les jours d’Hésiode.)
La fonction de l’hémisphère droit est donc : organiser trier les expériences d’une civilisation, rassembler dans un schéma qui pourrait dire à l’individu ce qu’il doit faire.
Donc différents événements passés et futurs sont triés, classés, synthétisés, dans une nouvelle représentation, synthèse que et qui constitue la métaphore !
(Nous reviendrons largement sur ce point essentiel que ce que nous tenons toujours même si c’est de loin et que nous les reconnaissons comme de simples métaphores pour des commencements, ces points majeurs ont une histoire, une généalogie et il ne sont des commencements que parce qu’ils sont des synthèses devenues incontestables. Par exemple le péché originel, le mythe de la tour de Babel et bien d’autres.)
En résumé
L’hémisphère droit est le lieu des synthèses de la construction de l’espace, il voit le sens des éléments uniquement dans un contexte et considère les ensembles.
L’hémisphère gauche est verbal analytique dominant et considère les éléments en eux-mêmes, un à un en quelque sorte.
(On pourrait ici renvoyer à de nombreux passages des réflexions de Wilèm Flusser, en particulier le passage dans Pour une philosophie de la photographie.)
La possible première fonction du cerveau droit et donc des dieux était d’identifier le danger, ou son absence et donc en particulier de lire les visages, les expressions des visages et de permettre de déterminer si elles étaient amicales ou hostiles.
Une question se pose à nous : comment le cerveau a pu changer (si vite) au point que mes vs ne soient plus entendues ?
Jaynes insiste non pas sur la sélection naturelle et une lecture drawinienne mais bien sur la PLASTICITÉ du cerveau (voir partie II), plasticité due à un grand nombre de zones redondantes et cela a un but biologique et de sélection, cela protège l’organisme contre les lésions cérébrales, donne à l’organisme entier une faculté d’adaptation encore plus grande face aux défis de ces époques du néolithique aux changements climatiques et à la chute de l’esprit bicaméral.
Conclusion de la première partie de ce séminaire
Ce qui ressort de cela, c’est que cette bicaméralité n’est pas un élément du passé qui serait dépassé, au sens où il ne serait plus ni valide ni actif ni déterminant, mais bien un mode de fonctionnement psychique qui fonctionne en grande partie de la même manière que le cerveau d’aujourd’hui comme nous allons le voir, mais surtout qui a laissé plus que des traces, qui est encore, parfois, chez certains êtres - et qui sait chez chacun – actif.
Un autre aspect doit retenir notre attention, c’est la question de la relation entre éléments discontinus qui est la situation concrète vécue par les hommes antérieurement à l’apparition de leur capacité à organiser de manière de plus en plus consciente leurs expériences.
L’enjeu est et reste d’articuler entre eux des éléments discrets. Ils existent comme des éléments, des moments séparés.
C’est une forme de trou noir, de vide, qui se tient entre chacun de ces moments. C’est à la fois rien car non perçu, sauf quand pendant ces moments d’oubli tel ou tel a commis des actes atroces ou salvateurs d’ailleurs mais dont il n’a gardé aucun souvenir, et angoissant quand parfois on lui rappelle ces moments dont il ne se souvient pas, comme dans un choix traumatique en quelque sorte. À ceci près que là il n’y a pas de choc mais un aspect lié au fonctionnement « normal » des hommes/héros.
Mais ce qui a eu lieu laisse des traces psychiques, celles accumulées au cours des siècles, des millénaires. Cependant les hommes/héros s’ils se souviennent de certaines choses, il ne parviennent pas les mettre en relation. Ces moments restent sans rapports entre eux. C’est le travail du poète comme l’était Homère ou l’étaient les aèdes était de relier de tels moments dans un ensemble et ainsi d’assurant des formes de continuité, fussent-elles partielles, en s’appuyant sur le narrativité qui est l’association d’éléments discrets dans une section plus large qu’on appellera un récit, une histoire.
Nous ne fonctionnons pas autrement aujourd’hui. Et si les traces concrètes physico- physiologiques de la bicaméralité ont peut-être en grande partie disparu, il n’en este pas moins que l’histoire même de chaque être, son long apprentissage rendu nécessaire pas la néoténie, l’inscrit dans un parcours dont les étapes sont celles que l’humanité a parcouru depuis deux ou trois millénaires lorsqu’elle est passée de l’état bicaméral à l’état conscient.
De plus comme nous allons le voir, ce qui rend difficile de chercher les traces actives de la bicaméralité aujourd’hui c’est moins leur effacement que le fat que nous avons changé de grille de lecture dans notre approche du psychisme, sans oublier non plus que nous avons une tendance forte à projeter ce que nous savons ou pensons savoir sur les hommes du passé en pensant donc qu’ils pensaient comme nous. C’est aussi à lever certains de ces pièges que nous nous emploierons.