L’abondance du présent
Face à la profusion, le fantôme de Monet passe-muraille traverse les nuages pour transformer le foisonnement en une seule image. Avec ou sans IA, les bases de données irriguent la création et Chaumont sur Loire Photo 2025.
Dans cet ensemble, tout se met à flotter ou tout devient cloison peu importe qu’il s’agisse de nuages ou de fleurs. Ici, la profusion au lieu d’engendrer la disparition produit une muraille unique. Ainsi, chez Kim Bosk, l’abondance de détails engendre leur disparition et dresse face à nous une paroi compacte et impénétrable construite sur une disparition de la perspective. Souvenirs et sentiments, les quatre saisons n’en font plus qu’une.
Disparition de la perspective qui traverse cette saison photographique à l’exception l’œuvre de Guillaume Barth. Dans cette recherche photographique au cœur du Salar d’Uyumi (Bolivie) accompagnée d’Elina, une installation temporaire, la disparition est présente et est, là aussi, produite par une profusion. Après l’orage, l’affluence de l’eau fait disparaître Elina (acronyme de hélé, éclat du soleil en grec, de Li et NA respectivement symbole chimique du lithium et du sodium), un igloo de sel construit par Guillaume Barth et des habitants locaux. C’est l’abondance du lithium qui engendre la disparition du sel et de l’eau car l’eau est indispensable à l’extraction de ce minerai et elle est aussi indispensable aux poussées de la vie pareil à des poussées de fièvre qui enchantent ponctuellement cet espace après des orages exceptionnels qui mutent ce désert en un espace foisonnant de vie. C’est la profusion du lithium qui engendre la disparition du sel et de l’eau douce et d’Elina. C’est elle qui fera de ce ‘’désert’’ un espace désertique.
Pareil à l’écoulement du temps, les paysages temporels de Santeri Tuori, aboutissement d’une fusion d’images aussi difficile à détecter que les passages des secondes. Même, les transitions se fondent, on ne distingue plus les couches : noir et blanc, couleurs ou encore images inversées au point de devenir un grand tout.
À la vue de ces ciels, Caspar Friedrich et La Création du Monde de Michel-Ange surgissent immédiatement pourtant. Impossible de savoir si ces nuages construisent un espace humain ou un espace divin dont la main de dieu se serait absentée. Quelques tentatives de repères : branches et oiseaux parsèment ces ciels pour nous rappeler l’impossibilité de se situer dans cet espace a-perspective.
La disparition du noir créateur de la profondeur annihile la perceptive et le surgissement du magenta, couleur complémentaire du vert et simultanément inversion du vert transforme la réalité en un monde fantastique. Selon Tamás Dezsö, il ne s’agir pas de faire disparaître le monde, ici l’œil écoute « ce qui pousse dans ces interstices » fabriqués par la disparition du noir. Disparition qui donne l’impression d’un monde flottant. Rien à voir avec le Japon et l’ukiyo-e qui signifie 浮世 à l’origine "monde instable", souvent traduit par ‘’ monde flottant’’.
Afin de préciser cette notion de monde flottant, l’auteur Tamás Dezsö évoque la disparition de la perspective produite par le passage de l’image positive au négatif qui nous confronte à un monde flottant faute de repères picturaux : pas de profondeur, pas de vert, point de noirs ou de couleurs comme celles de la terre. Ces absences nous confrontent à un monde sans attache car la profondeur, c’est aussi de la couleur. C’est en ce sens que l’auteur fait référence à La Nausée de Jean-Paul Sartre comme le raconte cette citation de La Nausée : « J’ai ouvert les yeux. J’étais dans un jardin public. Les arbres étaient verts, les chaises de fer peintes en vert. Tout cela était là, et je me suis dit que c’était une illusion. » [1] C’est cette illusion que révèle ces images inversées.
Paradoxalement, histoire de nous rappeler que la photographie, c’est de l’à-plat, c’est cette frontalité que l’on retrouve dans les œuvres de Vincent Fournier, frontalité d’autant plus surprenante que ces images sont construites à partir de photogrammétries (ou photos 3D) de fleurs retravaillées avec des logiciels 3D comme Blender. Par contre, ici cet à-plat ouvre vers une perspective infinie, celle d’une fiction de fleurs habitant des planètes théoriquement et scientifiquement possibles. Une utopie théorique est-elle encore une utopie si, chaque image est accompagnée de son histoire ? Dans l’herbier de Vincent Fournier ; chorégraphie de fleurs, on retrouve parfois des réminiscences des fleurs de Anne et Patrick Poirier elles aussi exposées précédemment à Chaumont sur Loire.
Avec cette nouvelle saison photo de Chaumont sur Loire, l’image ressemble à quelque chose, c’est certain, mais pas au réel, ce qui est vrai de toutes les images. Alors, à quoi ressemble une image ? Peut-être, tout bonnement à une écriture qui narre une histoire à condition de prendre le temps de s’attarder sur ces images en oubliant leurs évidences premières.
Regard sur l’image






