« L’image n’est pas un langage et elle résiste à toute lecture qui veut la réduire à une modalité linguistique. Mais en revanche n’existe que chez les sujets doués de parole. L’image suppose et le souffle et la voix, elle a aussi besoin des mains. Si l’image n’est ni langage ni outil, quand bien même elle accompagne pour le paléontologue l’existence du langage et des outils, c’est qu’elle prend en charge autre chose que la communication et la production technique. L’homme naît à la parole par l’image, c’est elle qui prend en charge ce dont il est question dans toutes nos images depuis les cavernes, les grottes, jusqu’aux salles obscures du cinéma, la puissance imaginaire du sujet parlant, ses pouvoirs d’apparition. L’homme apparaît en faisant apparaître. C’est la naissance du spectateur qui fonde l’humanité des créateurs. Ces grottes témoignent pour la naissance d’un homme pour qui le monde et un spectacle dont il compose la représentation. »
Marie Josée Montzain, Il était une fois l’image
Certes l’image n’est pas un langage au sens linguistique mais comme toute création culturelle, elle répond à des codes qui en font un langage au sens de la théorie de l’information. Les lois de la perspective, la notion de plan : avant-plan, arrière-plan…, sont des exemples de codes occidentaux tout comme la copie du réel l’est aussi tandis que l’interdiction de cette copie est, par exemple, un code d’une des lectures de la culture musulmane contemporaine qui a appartenu, autre fois au code culturel occidental et qui appartient toujours au code religieux hébraïque contemporain.
La carte de géographie est un exemple d’image constituée par un langage ; langage qui va permettre non seulement la description du territoire mais, aussi de donner un point de vue sur le territoire comme le montre « La carte du tendre » et son objectivation de la description du mouvement amoureux. Cette carte donne ainsi une visibilité au mouvement amoureux vu dans un contexte historique particulier.
De même, Google Earth donne l’illusion d’une continuité verticale entre la photo par satellite et la photo aérienne du quartier puis la photo prise dans la rue. Cette illusion de continuité est construite autour d’un parallèle avec le zoom cinématographique et plus particulièrement une utilisation très récente du zoom située à la croisée du zoom et de l’effet de filé du à un mouvement trop rapide pour être enregistré par la caméra. Ce zoom accéléré est souvent accompagné d’un mouvement de caméra et ces deux mouvements (zoom et panneau horizontal, rotatif sur lui-même ou autres) sont tellement rapide qu’ils n’en deviennent plus qu’un effet de filé. Cette accélération, à l’origine d’une brièveté qui se veut quasi instantanée, le transforme simultanément en un point de montage comme dans Agora [1]. Et tout comme au cinéma [2], avec cet effet de filé, nous avons l’illusion d’une continuité et donc d’un monde fluide, sans rupture. Cette continuité verticale est complétée par le GPS qui pareillement, mais, cette fois, latéralement, nous donne lui aussi l’illusion d’une continuité. Ces deux outils transforment simultanément la réalité en un jeu vidéo dont on suivrait l’évolution sans aucune rupture et dans un contrôle total.
Dans un autre registre, la nature-morte de la Renaissance et plus particulièrement Les Vanités sont des exemples d’images qui sont l’expression d’un langage régi par des codes :
– ceux de la perspective et des lois de l’optique euclidienne d’une part,
– et le langage du Christianisme tel qu’il se définissait à l’époque d’autre part associé avec l’invention dun ’individu responsable de ses actes.
Le numéro de Libération paru sans aucune photographie le 14 novembre 2013 est là pour nous le confirmer, l’image est bien un langage qui véhicule des informations non colportées par le langage et les légendes sont bien insuffisantes, tout comme une description littérale pour palier ce manque.
Compte tenu de ces quelques éléments, je ne peux donc suivre MJ Montzain dans son affirmation de l’image comme non-langage.
En guise d’épilogue provisoire
« Les images, même celle que nous avons aujourd’hui l’invincible habitude de ranger sous l’étiquette de visuel, ne sont pas faites que pour être vues. » [3]