Regard sur l’image

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- Objet temporel et mémoire sensoriellePerception et durée

,  par Hervé BERNARD dit RVB

« Par objets temporels, au sens spécial du terme, nous entendons des objets qui ne sont pas seulement des unités dans le temps, mais contiennent eux aussi en eux-mêmes l’extension temporelle. » [1]

« ... La chose semble tout d’abord fort simple ; nous entendons la mélodie, c’est à dire nous la percevons, car entendre, c’est percevoir. Pendant que résonne le premier son, le second arrive, puis le troisième, etc. Ne devons-nous pas dire : quand le second son résonne, alors je l’entends lui, mais je n’entends plus le premier, etc. ? En vérité je n’entends donc pas la mélodie, mais seulement le son individuel présent. » [2]

« ... Je n’entends donc à chaque fois que la phase actuelle du son, et l’objectivité de l’ensemble du son qui dure se constitue dans le continuum d’un acte qui, pour une part, est souvenir, pour une part, très petite, ponctuelle, perception, et pour une part plus large, attente. » [3]

« A l’évidence l’écoute d’une simple mélodie engage le sujet dans un processus complexe, un « acte » de gestion « temps réel » de la sensation sonore, de la mémorisation et de l’anticipation ! Nous verrons à maintes reprises qu’il en est ainsi de toute séquence sonore, avec seulement des différences d’échelles dans le traitement temporel. » [4]

Ici, Husserl développe deux temporalités : une temporalité individuelle, qui nous donne l’impression d’une continuité sonore et cela, à notre sens, concerne aussi le monde visuel, et une temporalité de la science physique. Affirmer, comme Godard : « un film c’est 24 images à la seconde », c’est rester coincé dans la compétence du technicien et oublier la sensation, élément essentiel à la constitution de notre perception du monde, d’un film ou d’un morceau de musique...

Par conséquent, le processus décrit par Husserl n’est probablement pas exact. En effet, ce découpage fait abstraction du rôle prééminent du cerveau dans le processus perceptif. Son travail est tellement important que l’on peut s’interroger sur la réalité de cette description d’une succession de sons ou d’images.

© Hervé Bernard 2008

Selon Husserl, la perception visuelle ou sonore est donc une temporalité construite par des instantanéités. Cette description est en opposition avec l’odorat ou le toucher qui nous semblent se construire dans la durée. La rétention des images dans le cas d’un film, de la perception d’une scène et la rétention sonore constituent cette temporalité. C’est cette rétention qui fabrique la continuité, j’éviterais le mot flux qui écarte le rôle actif de l’individu. En effet, cette rétention-continuité est une sélection active. La sélection se fait pendant les périodes de grande attention. Dans d’autres cas, comme lors de la conduite sur autoroute, contrairement à la conduite en ville, il nous semble possible d’envisager l’hypothèse de tri automatique.

Un histogramme sonore retranscrit ce paradoxe d’une continuité construite sur des instantanéités. Par contre, la suite d’images n’illustre pas cette association. Quant à l’histogramme d’une image, une représentation à première vue similaire, il n’illustre pas ce paradoxe, en effet, il ne représenta pas des temporalités mais des variations d’intensité spatiales.

Histogrammes sonores générés par un logiciel de montage vidéo

Au cinéma, le format le plus courant est celui de 24 images par seconde. Dans les jeux vidéo, on utilise plutôt la fréquence de 60 images par seconde. Pour un fichier audio, un son est échantillonné 44 100 fois par seconde, soit à une fréquence de 44 100 Hertz.

En fait, d’un point de vue perceptif nous sommes simultanément dans l’instant et dans la durée et notre mémoire donne la priorité à la continuité de la durée. Il lui est probablement plus facile d’enregistrer un enchaînement plutôt qu’une succession d’instantanéité. Une métaphore nous vient, la mémoire des sensations fonctionnerait-elle un peu comme les encodages vidéo prédictifs qui évitent simultanément la répétition d’une information et pourtant l’utilisent simultanément pour reproduire l’image suivante.

Souvenirs IX
© Hervé Bernard 2015

La perception ne fonctionne pas sans la mémoire et la mémoire, c’est le lieu du désordre, un vrai bordel comme le montre Confiteor [5] ou dans un autre registre les commodes baudelairiennes