Saxifrage
Les saxifrages sont l’ultime étape de la rémanence et de la résurgence. Elles marquent le terrain de la rencontre de la matière urbaine et de la matière végétale. Ces plantes casses-pierres et brises-béton pourfendeuses de l’architecture brutaliste militaire ou autre ; la brise à coup de fendillements racinaires pour nous rappeler que les petits, seuls ou unis ont la force des chênes.
Les saxifrages sont des semences, des plantes en mouvement :
– en déplacement souterrain pour certaines comme les orties, elle le paraissent pour d’autres comme la sanve, ‘’mauvaise herbe’’ de la famille de la moutarde et du colza et qui a, par conséquent, développé une résistance aux désherbants OGM grâce aux transferts de gènes par les voies aériennes.
Indisciplinées, mal-aimées, les saxifrages s’épanouissent dans les caniveaux, sur les bas-côtés, à la marge. Métaphore de la société, de la résistance de l’humanité face aux épidémies et aux guerres... Elles prolifèrent dans les tiers lieux, à l’interstice de la ville nouvelle et de la ville ancienne, en bordure des chantiers, dans les fentes et failles, entre les murs et les trottoirs. Une vie à la marge et la force de fendre les murailles. Elles sont l’interstice qui se développe dans les interstices.
Plus qu’un inventaire taxinomique, c’est un inventaire esthétique mais, rien ne lui interdit, de devenir, ultérieurement, un inventaire taxinomique. Une question de rencontre comme nous le rappelle les saxifrages.
© Hervé Bernard
Extrait de Mes deux mondes de Sergio Chejfec (Trad. Claude Murcia)
« En général, je regarde plutôt vers le bas quand je marche. Le sol est l’une des choses les plus révélatrices de la condition du présent ; il est plus éloquent dans ses dommages, ses détériorations, ses dénivellations ou accidents de tout type.
Je parle aussi bien des sols urbains que des champêtres, des difficiles que des amicaux. Et concrètement, je parle des sols des chemins, ou des sols humains en général, parce que le sol abstrait, le sol du monde, parle d’autres langues très difficiles à cerner. Une partie de la promenade est une forme d’archéologie superficielle, qui pour moi en général s’avère extrêmement instructive et dans un certain sens émouvante, car il s’agit de considérer des indices modestes, insignifiants, voire hasardeux, tout le contraire de la pertinence définitive des observations scientifiques.
Ce sont des indices qui par leur caractère anodin ou non indispensable rétablissent une façon d’occuper le temps : on est témoin de ce qui est anonyme, inclassable pour l’histoire, et en même temps témoignage de ce qui aura du mal à perdurer. »
Merci à Electre Aphone
Voir aussi : - Surrection, Les Elégies de Duno, Rainer Maria Rilke