Tout est source d’inspiration. J’aime beaucoup voir des gens que je n’ai jamais vus et dont je n’ai jamais imaginé qu’ils puissent exister.
Pour arriver chez Marie-Laure de Decker, il faut emprunter les routes qui tournicotent à travers les collines du Tarn, après Rabastens. La photographe habite dans une grande maison avec un pigeonnier, entourée de chats et de chiens. Les cheveux courts et blancs, l’œil très bleu, des bracelets massaï au poignet, elle prépare un thé avant de prendre place autour de la grande table de sa cuisine.
Comment êtes-vous arrivée dans le Tarn ?
J’ai passé une partie de mon enfance ici, j’avais une tante qui habitait à côté. Pour moi, le Tarn que je ne voyais que l’été, était un endroit paradisiaque. Il y a 20 ans, quand je suis venue m’installer ici, j’avais envie d’être hors du monde. Ce coin est absolument ravissant même si l’hiver est assez rude : 6mois par an, c’est franchement agréable et délicieux. L’air sent bon, c’est pas Paris.
Raymond Depardon photographie les paysans français, est-ce que les gens d’ici vous inspirent ?
Oui. En 2002, j’ai fait une exposition à la mairie de Rabastens sur la ville, le Tarn, sur les gens… Tout est source d’inspiration. J’aime beaucoup voir des gens que je n’ai jamais vus et dont je n’ai jamais imaginé qu’ils puissent exister. C’est bouleversant. J’adore ça.
Vous avez un don particulier pour le portrait …
Depuis toujours, je trouve fascinant que sur un si petit espace qu’est le visage, il y ait une telle variété. A travers vos photos, essayez-vous d’être proche des gens ?
Ce n’est pas que j’essaie, je suis proche des gens. C’est ma nature. Du fait, que je mène leur vie comme cela a été le cas avec les Woodabé au Tchad, avec les rebelles Toubous dans le désert de Tibesti, au Vietnamien, en Afrique du Sud… je vis avec les gens. Je ne demande aucun privilège donc cela me rapproche d’eux.
Aujourd’hui vous vous intéressez aux Wodaabé. Comment les avez-vous connus ?
Des amis tchadiens m’ont dit : « Tu devrais venir au sud du Tchad, il y a des gens très particuliers. Ce sont les femmes qui choisissent les hommes ». J’y suis allée et j’ai trouvé des Wodaabé. Incroyables ! D’abord, ils ne se battaient pas ce qui est très rare au Tchad. Ils se préoccupent avant tout de faire vivre leurs vaches et de boire du lait.
Vos photos permettront-elles de laisser une trace de cette ethnie menacée ?
Comme toutes les photos. Je suis allée souvent photographier les Wodaabé parce c’est un peuple en grande difficulté qui va disparaître. Je veux montrer leur visage, leur particularité, leur douceur…
Vous travaillez avec les mêmes Leica argentiques depuis…
Toujours. J’en ai trois. J’ai tout fait avec. Aussi bien les reportages que des photos de mode.
Vous avez débuté à Gamma à 22 ans en allant au Vietnam. Par rapport à un homme, vous a-t-il fallu deux fois plus d’énergie pour vous imposer ?
Non. Pareil. Autant qu’eux. À l’époque, les femmes photographes étaient rares. Pour réussir, il fallait être enthousiaste sinon, ce n’est pas la peine. Il y en a toujours d’autres qui sont plus doués qui vont prendre votre place. Aux débuts de l’agence, on était prêt à mourir pour Gamma, c’était toute notre vie. On aimait tellement cette agence, elle était prestigieuse.
Quand vous alliez sur les terrains de guerre, comment vous protégiez-vous des horreurs vues ?
Je ne suis pas protégée. Je pleure. J’ai vu quand même des choses merveilleuses comme l’élection de Mandela, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. C’était un truc incroyable ! Mandela était un type adorable. Il avait une telle douceur, un tel charisme, une belle voix, une façon de parler magnifique.
Une photo réussie, ça tient à quoi ?
C’est magique. ça tient au cœur, à l’intelligence, à la rapidité, à l’enthousiasme. C’est mystérieux.
Pourquoi n’êtes-vous pas passée au numérique ?
Parce que c’est trop compliqué, ça clignote, il faut des piles. J’aime pas du tout. Et quand je vois les gens travailler avec ça me fait beaucoup rire. Ils font une photo, après, ils la regardent et ils ne s’intéressent plus du tout à ce qui se passe en face d’eux.
Aujourd’hui vous avez de nombreux problèmes avec Gamma et un autre procès pour le printemps…
Maintenant, je suis attaquée par le type qui dirige Gamma. Il me demande 70 000 euros de dommages et intérêts pour avoir pris une de mes photos sur l’ancien site de Gamma et l’avoir mis sur facebook parce qu’il dit que le scan appartient à Gamma.
Vous avez été photographe de mode, c’était plus facile ?
La mode, c’était amusant car les gens étaient prêts, tout le monde était d’accord pour faire des photos.
Votre beauté vous a-t-elle aidé ?
Pour moi, cela n’existe pas. Il ne faut jamais se faire remarquer, ne jamais montrer un côté sexy au premier abord. Je ne me suis jamais ma quillée, je n’ai jamais rien fait pour attirer le regard des hommes. Jamais. Après, c’est la sympathie !
Depuis qu’elle a 20 ans, Maire-Laure de Decker se photographie. Elle a constitué cette frise ci-dessus.