Certains trouvent les photographies de Robert Doisneau beaucoup moins talentueuses depuis qu’ils ont découverts qu’elles étaient loin de l’instant fatidique décrit par Henri Cartier-Bresson. Personnellement, je ne les trouve que plus intéressantes, réussir à nous donner si puissamment l’illusion d’être un miroir de la réalité, de photographier sur le vif implique un talent rare. Peu de ses prédécesseurs ont joué ce jeu de manière aussi convaincante. Certes August Sanders et d’autres comme les photographes américains de la Farm Security Administration au lendemain de la crise mondiale de 1935 à 1942, ont tenté de nous faire croire qu’ils pratiquaient un reportage sans aucune scénographie. Cependant, hormis Robert Doisneau, peu d’entre eux ont réussi à nous donner cette illusion de l’instantané tout au long de leur œuvre.
Capa, avec une autre photo atteint ce sommet, il s’agit du soldat républicain photographié en pleine chute, foudroyé par une balle. Photo posée, photo sur le vif. Pour celle-là, la question restera éternelle car aucun des protagonistes ne peut nous la raconter et plus personne n’est en mesure de poursuivre ce photographe pour un cachet non versé ou atteinte à la vie privée... Pour mémoire, c’est une personne croyant se reconnaître dans la photo du « Baiser de l’Hôtel de Ville » qui a obligé Doisneau à avouer qu’il avait employé des comédiens.
Qu’elle est leur tord, si l’on peut parler de tord ? Nous prouver par l’évidence que cette mythologie créée par HCB et entretenue par Roland Barthes n’existe pas. Il est temps de le comprendre. C’est le sens de l’image, d’un propos qui compte, le Républicain tué en plein vol au-delà d’une image emblématique des Républicains, et l’une des images du XXe symbole de la Grande Faucheuse foudroyant dans son élan la jeunesse, la vie…
Comment expliquer que cette photographie, certes très belle, est devenue l’emblème des Républicains. Tellement emblématique de cette Espagne révolutionnaire que certaines villes espagnoles (Carboneras, Andalousie…) ont gravé cette photo sur le fronton de leurs monuments aux morts à la gloire des combattants Républicains. Aurait-elle eu le même destin si ces derniers, les républicains, étaient sortis vainqueur de cette lutte ? La réponse probable est : non. Cette image symbolise trop bien la fin de cette guerre d’Espagne : arrétée en plein vol, la fin d’un espoir et son prélude de la seconde guerre mondiale. Au-delà, elle symbolise aussi la révolte des gueux face au pouvoir... De par cette symbolisation de la fin, cette image est typiquement une image romantique, romantisme qui cultive une vénération pour l’échec.
- Petite histoire de la photographie sous le prisme du photomontage et de la retouche