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- L’abstraction,
une invention occidentale V3
L’abstraction et la figuration, le revers d’une même médaille : la représentation.

,  par Hervé BERNARD dit RVB

L’abstraction et la figuration,
le revers d’une même médaille : la représentation.

L’abstraction et la figuration n’existe pas l’un sans l’autre, comme tous les éléments constituants un couple binaire ; couple bien souvent enclin au manichéisme. L’abstraction n’existe pas sans la figuration (ce terme fera référence, au cours de ce texte, au terme consacré de peinture figurative) tout comme le positif n’existe pas sans le négatif, le vrai sans le faux… Tous ces couples infernaux ne peuvent avancer que main dans la main.

Pour affirmer une telle chose, il faut préciser immédiatement que l’on parle de l’abstraction occidentale qui est toute aussi unique que la figuration occidentale. Si nous prenons la peine d’opposer la figuration et la représentation, ce n’est pas simplement pour le plaisir de la précision. La figuration et la représentation ne peuvent être confondues. La figuration est une invention occidentale. La peinture aborigène n’est pas plus une peinture abstraite qu’elle n’est figurative par contre, elle représente quelque chose : l’itinéraire pour aller à un point d’eau, trouver des vers blancs sous une pierre bien particulière…

La peinture aborigène, comme toutes les peintures premières, ne figure rien dans le sens où la voir, ne nous permettra pas de découvrir ou de connaître l’itinéraire pour aller puiser l’eau. De fait, elle ne décrit pas tel bloc de rochers facile à identifier ou encore les alentours de cette source. Cette peinture est illisible sans la voix qui l’accompagne. Elle n’est donc pas figurative mais symbolique de cet itinéraire et inséparable du récit oral qui l’accompagne. Ce qui la différencie fondamentalement de la peinture occidentale.

C’est pour cette même raison que les miniatures ou les mosaïques musulmanes ne sont pas abstraites : elles représentent l’infini de Dieu. Cette dernière indication nous amène à préciser immédiatement le mot abstrait. Abstrait, signifie d’abord tiré hors de son contexte et, dans un second temps, il signifie aussi : qui ne représente rien. Or ce “rien” est complexe.

Les miniatures perses ne sont pas figuratives, elles ne figurent pas une réalité circonstanciée. Elles représentent et non figurent cette réalité. Aucune de ces miniatures n’est la copie de la réalité. D’où le manteau du notable qui s’étendra à l’infini pour envahir les bords de l’image et devenir, à nos yeux, pareil à un cadre. Ce que l’on appelle une peinture abstraite musulmane symbolise l’infini de Dieu. Elle n’a généralement ni fin ni début comme le manteau évoqué précédemment. C’est pour cette raison que les calligraphies, une fois achevées ; n’ont bien souvent pas plus de fin que de début perceptibles. Car tout comme l’infini, elles n’ont ni fin ni commencement.

© Martin Reyna, coll privée, photo Hervé Bernard

Par contre, Salvador Dali, Martin Reyna (dans la série des maisons cubiques ou des arbres comme ci-dessus) ou encore le peintre surréaliste Tanguy,… ne sont pas des peintres abstraits dans le sens où ces trois peintres représentent quelque chose ou quelqu’un. Pour le premier, il s’agit par exemple du Christ en Croix, pour le second, une maison ou un arbre isolé dans l’espace infini d’une pampa symbolique (Martin Reyna est argentin), quant au troisième, il représente des espaces infinis, désertiques hormis quelques sculptures plus ou moins pétrifiées et anguleuses. Ces trois peintres parmi d’autres, sont bien des peintres qui représentent mais ne figurent pas. Représenter, c’est présenter à nouveau, présenter à la place de quelque chose. Celui qui parle de représentation est conscient de parler d’un remplacement, d’un tenant lieu de et non d’un miroir. Il est donc conscient de la substitution.…

Kandinsky et Mondrian ne représentent ni figurent “rien” et ce rien, aucune civilisation ne l’a inventé, pensé auparavant, c’est ce “rien” qui fait d’eux des abstraits. Pourquoi ? tout simplement parce qu’aucune autre civilisation n’a inventée et pensée la figuration comme l’Occident l’a fait. Certes, il existe une figuration asiatique mais, elle n’a pas cette prétention à représenter le réel.

La figuration et l’abstraction, tout comme le fini et l’infini sont les deux termes d’une même phrase, les deux faces d’une même pièce. L’abstraction issue du Blaue Reiter, Kandinsky la découvre grâce à un tableau à l’envers qui lui fait entrevoir l’inutilité de la référence à un objet pour faire une peinture. Ce dernier (l’objet) nuit à la peinture mais pour faire cette découverte, l’objet doit être là. Quand à l’abstraction issue du cubisme, elle est issue d’une relecture de la représentation et de la perspective. À mon sens, c’est une ébauche de ce qui deviendra l’image 3D.

Les trois peintres (Dali, Reyna, Tanguy) cités précédemment représentent un imaginaire même s’ils ne figurent rien de réel. Ils ne sont donc pas des abstraits au sens ou Pollock, Kandinsky, Piet Mondrian le sont. Ces derniers représentent une émotion, une sensation, un sentiment… Cette liberté que tous ces peintres se donnent de voir autrement que les autres est profondément lié à l’individualisme, l’un des piliers de la représentation occidentale. Celui-ci, en effet, outre la (re)découverte des lois de l’optique est à l’origine de la perspective.

Nous pouvons donc dire que ce que nous appelons la peinture abstraite est tout aussi improbable dans ces autres civilisations que ce que nous appelons la peinture figurative. Dans les civilisations orientales, moyennes orientales ou encore africaines (…), la peinture de Piet Mondrian, de Joël Kermarec ou de Kandinsky est tout aussi improbable que celle de Klasen, René Monory ou Léonard de Vinci…

L’abstraction occidentale est une forme picturale qui a écartée toute figuration ainsi que tout symbolisme.

© Hervé Bernard

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