Regard sur l’image

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- Art et chamanisme V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

En guise d’introduction
 L’anagramme de « guérison » est « soigneur » Ces deux mots contiennent donc les mêmes lettres arrangées dans un ordre différent. D’une certaine manière, on peut dire qu’ils sont une image typographique l’un de l’autre.

 De même, « Endolori » est l’anagramme de son opposé, de son antonyme : « indolore »

Ces deux anagrammes mettent en image, révèlent toute l’ambiguïté de la maladie. Si certaines d’entre elles, sont, incontestablement des maladies, notamment, celles qui entrainent la détérioration de notre corps, nombreuses sont les maladies qui sont aussi une interprétation culturelle d’un état estimé par une société donnée comme étant hors norme.

La portée des allusions à l’initiale vocation médicale de Joseph Beuys et du récit du sauvetage en Crimée va bien au-delà des détails du langage plastique qu’il invente et développe. Ils touchent à la conception même de l’activité artistique : cette dernière n’a pas seulement pour fonction de satisfaire le regard et de donner du plaisir, mais aussi de soigner le monde moderne des maux qui l’accablent et dont il est, pour la plupart d’entre eux, coupable.

1 Préliminaire
Si Beuys affirme qu’il a été sauvés par des nomades et leurs remèdes rudimentaires, c’est pour mieux contester l’empire des sciences et de la raison qui désenchante le réel. S’il se donne pour un « chaman » contemporain —autrement dit un “medecine man”—, c’est parce que celui-ci est supposé comprendre les esprits et savoir obtenir d’eux récoltes et guérisons par des voies spirituelles et magiques.

« Notre vision du monde doit être étendue pour prendre en compte toutes les énergies invisibles avec lesquelles nous avons perdu contact. », dit-il. En août 1971, aux Pays-Bas, il réalise une performance [1] qui, semble-t-il, n’est pas préméditée, il se jette tout habillé dans les eaux troubles d’un marais, parce que la vie naît dans les marais et parce qu’il entend protester contre leur assèchement par l’agriculture et l’urbanisation à outrance. [2]

Hommage à Van-Gogh

2 Les objets d’art des Arts Premiers sont religieux
Tous les objets des Arts Premiers que nous considérons comme des objets d’arts sont, au moment de leur fabrication, soit religieux soit destinés à favoriser la guérisons et ce rôle est souvent double

La Vierge à l’Enfant / Madonna and the Child
De la série : Inventaire - Hommage à... / Inventory - Tribute to...

Pour l’Occident, l’art n’existe pas avant la Renaissance. Auparavant, tout comme pour les Arts Premiers, il s’agit d’objets religieux dont certains ont des vertus curatives même dans la Rome Antique, dans la mesure où les empereurs faisaient l’objet d’un culte, la majorité des œuvres que nous appelons artistiques sont des objets religieux. Gardons présent à l’esprit que pour qu’il y ait œuvre d’art, il faut un individu autonome, un auteur signataire. Hors, pour que celui-ci apparaissent, l’une des conditions est que les liens entre destin individuel et destin collectif se distendent. C’est cette autonomie qui donne naissance à l’art. Et, dans la majorité des autres régions du monde, l’art n’existera pas avant la colonisation car c’est la colonisation qui désacralisera ces objets de culte qui pourront alors devenir œuvre d’art.

2 Définir la maladie, c’est définir simultanément la guérison
La folie ?
Van-Gogh était -il malade ? Deux hypothèses circulent actuellement :
 La première, celle que l’histoire de l’art propage : un homme fou ;
 la seconde, celle d’un homme qui se sacrifie pour éviter aux autres de subir les conséquences de leurs actes que ce soit Gauguin ou les adolescents d’Auvers. Le premier lui aurait tranché l’oreille en « jouant » quant aux seconds, ils jouaient eux aussi mais, avec une carabine, et le blessent involontairement. Pour éviter aux uns comme aux autres de se retrouver en prison, il s’accuse. Folie, générosité incommensurable allant jusqu’à l’abnégation ? Hypothèse improbable, farfelue ou probable ? Farfelue, probablement pas si l’on a lu les Lettres de Van-Gogh à Van Rappart.

Vincent
De la série : Inventaire - Hommage à... / Inventory - Tribute to...

Guérir
« Quand on écrit, on mène pas une petite affaire privée. C’est vraiment les connards, c’est vraiment l’abomination de la médiocrité littéraire, de tous temps mais particulièrement actuellement, qui fait croire aux gens que, pour écrire un roman, il suffit d’avoir une petite affaire privée, sa petite affaire à soi, sa grand-mère qui est morte d’un cancer, ou bien son histoire d’amour à soi. Voilà ! Et puis on fait un roman... mais c’est une honte, c’est une honte quand c’est des choses comme ça. C’est pas l’affaire privée de quelqu’un, écrire. C’est vraiment se lancer dans une affaire universelle, que ce soit le roman ou la philosophie.  » [3]

La Vague
Hommage à Hokusai

3 L’art, moyen d’expression
Parce que l’art exprime, il expulse du non-dit. En cela, il est curateur. Curateur par l’introduction du tiers qui nous sort de la fusion et de l’indifférencié de la folie. En fait apprécier une œuvre, ce n’est pas dialoguer, c’est triloguer comme le montre Le Radeau de la Méduse de Guéricault avec ses apparitions et disparitions dans l’histoire de l’art.

Le couple œuvre-sujet n’existe pas, même chez un Van-Gogh que certains considèrent comme un parangon de cette vision de l’art. Au moins pour le spectateur, ce dialogue n’existe pas. Trois personnes sont présentes dans cet échange : l’œuvre, le spectateur et le créateur. En effet, dans toutes contemplations, ces trois protagonistes échangent.

Mais, même pour l’artiste, le dialogue œuvre-auteur n’existe pas. Ce dialogue n’existe pas sans la présence d’un tiers : le spectateur. Certes ce tiers est parfois tellement indéfini qu’il semble absent. Pourtant, ce tiers, même chez Van-Gogh existe. D’ailleurs, chez ce dernier, cette existence est tellement terrifiante qu’il avoue peu avant l’accident d’Auvers, que le succès lui fait peur comme il le dit dans ses lettres à Van Rappart. Donc, pour Van Gogh le tiers est bien là, tellement là qu’il produit de la terreur.

Et Deleuze va encore plus loin dans A comme animal, « un écrivain écrit pour des lecteurs […] à l’intention de lecteurs, en ce sens, il écrit pour des lecteurs. […] pour cela veut dire deux choses : à l’intention et à la place de.[…] C’est pas l’affaire privé de quelqu’un, c’est vraiment se lancer dans une affaire universelle. » Si ce n’était qu’une affaire personnelle, il y a bien longtemps que nous aurions cessé de réécrire Roméo et Juliette.

Il n’y a pas d’art pour soi, il n’y a d’art que pour l’Autre, c’est en cela que réside la vertu curatrice de l’art. L’art est le prédateur des souffrances de la vie : ressentiment, haine... Il y trouve sa pitance qu’il métabolise en plaisir, en jubilation de faire en produisant ou en regardant.

© Hervé Bernard 2016


 Regard sur l’image
Un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12

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