Regard sur l’image

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- Le langage est image (13)Le dernier souper : the Last Supper et la Cène

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Le langage est image, parler de la Cène comme du dernier repas pris en commun par le Christ et les apôtres ne produit pas la même image que de désigner ce repas par le terme français : la Cène. En effet, dans ce dernier cas, on parle non d’un repas, même si c’est le dernier mais d’un repas bien particulier dont on considère que sa spécificité est tel qu’elle justifie de le désigner, par un terme dédié. Cette unicité du terme le sacralise, là où l’anglais parle de dernier repas et utilise des majuscules qui lui donnent une importance relative le français a recours à un terme unique, dédicataire afin de mettre en valeur cette spécificité.

Parler du dernier repas, c’est insister sur la chronologie, alors que le français, par le choix d’un terme propre, insiste sur la singularité de ce repas. Cette unicité n’est quasiment pas mise en valeur par l’anglais car des derniers repas, même avec des majuscules, il y en a plein ! dernier repas des vacances, dernier repas de l’année, dernier repas de la vie d’étudiant comme les espagnols l’ont compris eux qui ne parlent que de pénultième, c’est-à-dire d’avant-dernière fois, de dernière fois, il n’y en a qu’une seule, c’est une fois mort, avant, on ne peut pas savoir. Par cette unicité terminologique, le français insiste sur l’aspect symbolique, sur le fait que ce repas est une référence, un modèle alors que l’anglais parlerait plutôt du dernier repas du Christ fait chair.

Par ailleurs, en français, le mot Cène a une homophonie extrêmement forte avec le mot scène ce qui renforce la théâtralité de ce repas comme nous le montre toutes les représentations picturales que l’on a pu en faire. Théâtralité tel que l’on peut se demander si les convives de ce repas qui sont, pour la majorité d’entre eux, face à la salle sont : face à nous ou face à Dieu ? Autrement dit, qui est le spectateur de cette (s)Cène ? Cette homophonie est d’autant plus forte qu’au Moyen-âge, en France, comme dans toute l’Europe, les seuls spectacles de théâtre tolérés sont justement des spectacles religieux joués sur le parvis des églises et ces scènes représentent notamment la Cène.